A-Infos (fr) Monde Libertaire - Des idées et des luttes: Langues régionales: Idées fausses et vraies questions

Des langues à vivre ---- Nous vivons en France, le caractère unitaire de 
son régime politique, sa construction de l'idée de Nation conduisent à 
considérer une langue, le français comme étant celle de la République 
pour reprendre l'article 2 de la Constitution de 1958. Pourtant cette 
langue n'est pas apparue un beau jour d'été, figée pour l'éternité. Dans 
l'émission Au fil des pages sur Radio libertaire, nous avons présenté le 
livre de Gilles Siouffi, Paris-Babel, histoire linguistique d'une 
ville-monde (Ed. Actes-Sud, 2024). Il y démontre l'évolution de cette 
langue au fil des siècles et comment d'autres idiomes l'ont enrichie et 
auraient pu la supplanter. L'Académie française, émanation de l'Ancien 
régime était chargée par Richelieu d'assurer une homogénéité 
orthographique et grammaticale, la Révolution française par la voix de 
l'abbé Grégoire entend annihiler les patois et autres dialectes utilisés 
sur le territoire national. Mirabeau considérait que la France était une 
mosaïque de peuples. Des années de combats, d'oppressions menées par la 
République et particulièrement l'école s'acharnent sur ces langues du 
peuple alliant mépris, moquerie, répressions. Tous les enfants de langue 
bretonne, corse et autres ont connu, le signal, la pratique de la 
dénonciation et de la punition pour ceux qui parlaient leur langue 
maternelle, celle dans laquelle l'individu prononce ses premiers mots et 
les derniers, celle qui sort du coeur.

L'unité officielle de la France réalisée, nous ne pouvons qu'être 
surpris de la virulence des débats quant à la pratique des langues 
régionales aujourd'hui. Les tenants d'une seule langue confondent langue 
commune et langue unique. Chacun peut constater que ces langues 
régionales perdurent et ne sont pas l'apanage de «quelques vieillards 
réactionnaires bredouillant». Déjà Mona Ozouf avait, dans son livre 
Composition française (Ed. Gallimard, 2009), analysé la rencontre entre 
la culture française et la culture bretonne.

Le français, une langue écrasante?

Rozenn Milin, historienne, pratiquant le breton et Philippe Blanchet 
Lunati, universitaire, attaché au provençal publient aux éditions 
Héliopoles, Langues régionales: Idées fausses et vraies questions. Dans 
un style accessible avec humour, agrémenté des dessins de Joël Auvin dit 
Nono, ils corrigent les fausses informations et éclairent le débat de 
façon sérieuse et constructive, à partir de connaissances scientifiques 
sur les langues, ne se limitant pas à celles de l'hexagone, leurs 
pratiques, leurs histoires, leurs fonctionnements et leurs places. 
Partant des affirmations énoncées par des personnes qui n'ont aucune 
pratique des langues, ils démontent le processus d'ostracisation de ces 
parlers. Evidemment, nous avons droit à l'inénarrable président de la 
République actuel affirmant péremptoirement que ces langues «étaient un 
instrument, au fond, de la division de la nation», ce que lui n'est pas 
comme chacun le sait!

Nous connaissons le mépris à l'égard de ces langues qualifiées de 
patois. Pourtant, elles traduisent une part de l'identité des locuteurs, 
l'appréhension de leur environnement. «Rien ne permet d'établir 
objectivement une hiérarchie entre les langues. Il n'existe pas 
d'échelle dont le sommet serait occupé par des langues «nobles», comme 
le français, surplombant des dialectes, sortes de sous-langues locales 
déclinées en «patois» par des classes populaires peu éduquées».

Dénoncer les poncifs

Les poncifs sont dénoncés au fil des pages. Ces langues n'auraient pas 
de grammaire. Faux, ainsi le kanak, le breton, le béarnais disposent de 
règles grammaticales très élaborées. Elles ne s'écrieraient pas? 
Inexact, le premier texte date de 880. Ces langues seraient-elles figées 
dans le temps, un temps agro-pastoral? Faux, des chercheurs travaillent 
sur leur enrichissement, tout comme le français évolue. L'absence de 
littérature dans ces langues est aussi dénoncée. Or les auteurs mettent 
en valeur quantité de romanciers, poètes, essayistes actuels. 
Malheureusement, ces textes ne sont pas inscrits dans les programmes 
scolaires.

Pour mieux démonter l'intérêt de ces langues, leurs critiques 
considèrent qu'elles ne sont plus parlées ou si peu. C'est aussi faux, 
inscrire des cours dans le parcours scolaire contribue à leur diffusion. 
Et Rozenn Milin, Philippe Blanchet Lunati nous livrent des statistiques 
très précises et encourageantes quant à la pratique de ces langues par 
les jeunes générations. Certains termes sont même utilisés dans la 
publicité, le commerce. Pour une langue du passé... On peut repasser!

En pratique, une langue s'inscrit dans le patrimoine de ses locuteurs. 
C'est un drame pour la culture humaine lorsqu'une langue disparaît, une 
réalité dénoncée par les linguistes comme Claude Hagège. Chacun a droit 
à sa ou ses langues. «Chacune d'entre elles, avec ses spécificités, 
apporte sa pierre à la façon de comprendre et d'aborder le monde.»

* Rozenn Milin, Philippe Blanchet Lunati
Langues régionales: Idées fausses et vraies questions
Ed. Héliopoles, 2025

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