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(fr) Courant Alternative #350 (OCL) - Retour vers la batterie, le capitalisme veut se réinventer

Date Wed, 21 May 2025 17:55:53 +0100


Les voitures électriques ne sont pas une innovation technologique du XXIe siècle, elles sont contemporaines de l'invention des voitures thermiques à la fin du XIXe siècle et reposent sur une technologie encore plus vieille, la pile. Certes, il y a eu quelques perfectionnements dans la capacité des batteries à stocker de l'énergie mais en aucun cas, nous assistons à une nouvelle «révolution industrielle». Tout juste, le capitalisme fossile cherche une issue de secours pour refaire du profit sur la crise climatique en cours. Bourgeoisies politique et économique; se mettent d'accord sur cette «transition énergétique». Dans l'Union Européenne, les dates de 2035 pour la fin des véhicules neufs au pétrole et 2050 pour la neutralité carbone sont avancées, sans trop que l'on sache comment cela va solutionner les problèmes. Au contraire, la bagnole sera de plus en plus présente dans nos vies et elle continuera à conquérir des marchés comme en Afrique. Bienvenue à retour vers le futur.

Les batteries, une vieille histoire

Pour rappel, une batterie est un processus chimique pour stocker de l'électricité. La première batterie est la pile qui a été inventée par l'italien Allesandro Volta en 1800. Son nom vient de l'empilement de disques de zinc et de cuivre qui forme l'anode et la cathode séparées par une couche de tissu imprégné d'eau salée que l'on nomme l'électrolyte. Voilà pour le rapide cours de chimie ... Si la pile est rechargeable, on parle d'un accumulateur ou d'une «cellule» depuis que les choses sont à l'échelle nanométrique. Au final, une batterie est un assemblage d'accumulateurs.

Ce serait le français Gaston Planté qui le premier, réussit à stocker de l'électricité dès 1860 avec des accumulateurs plomb/acide. Cette technologie est encore largement utilisée puisqu'elle constitue 99 % des batteries, notamment celles dans nos voitures thermiques. Pour faire une voiture électrique, il faut coupler la batterie à un moteur. Cela passe d'abord par l'invention de la dynamo par l' ingénieur militaire allemand Siemens entre 1866-1869; puis le belge Gramme perfectionne la dynamo en la rendant «double flux», c'est à dire que si on fait rentrer un courant électrique dans celle-ci, elle tourne. Le moteur est né!

Il faut traverser l'océan Atlantique, pour voir la production industrielle des premiers gros accumulateurs avec Edison, l'inventeur de la célèbre ampoule à filament. Avec des capitaux du banquier JP Morgan, il créée la Edison Illuminating Company qui deviendra ensuite la Edison General Electric et enfin la General Electric. Ces batteries sont utilisées pour stocker l'énergie produite par la première grande centrale électrique à New York - qui fonctionne au charbon et qui pollue allégrement l'Hudson - à partir de 1882. Edison va aussi inventer les batteries de type alcaline-nickel-fer. Les perfectionnements des composants d'une batterie vont se poursuivre tout au long du XXe siècle: la batterie nickel-cadmium; celle au nickel-cadmium-fer qu'on retrouvera dans les fusées et les satellites et pour finir la fameuse batterie au lithium qui est la plus efficace pour stocker l'électricité. Cette dernière est mise au point dans les années 1980 par des chercheurs américains et japonais, ce qui leur vaut un prix Nobel en 2019 avec les 900 000 dollars qui vont avec ...

Les batteries dans les voitures

Là encore, c'est une vieille histoire car l'idée naît en même temps que l'invention des moteurs thermiques et, au tournant du XXe siècle, c'est la course à qui va gagner le marché entre les voitures à vapeur, à pétrole ou à l'électricité. En 1891, tandis que Panhard-Levassor roule dans une voiture thermique de la porte d'Ivry à Boulogne-Billancourt, le carrossier français Charles Jeantaud parcourt 12 kms dans une automobile à accumulateurs. La voiture électrique a des avantages sur ces concurrentes, elle est plus silencieuse, moins salissante et le démarrage n'a pas besoin de coups de manivelle épuisants. L'électrique commence en pôle position! Les premiers taxis new-yorkais sont électriques (600 exemplaires en 1900) grâce au modèle Electrobat surnommé l'électro-chauve-souris; en 1900, il y a deux fois plus de voitures électriques produites que ses rivales fumantes mais la compétition est aussi sportive. En 1899, l'entrepreneur belge Camille Jenatzy franchit le premier le cap des 100 km/h avec sa «jamais contente», une voiture en forme de torpille. Mais l'essence a plus de succès sportif et les 24 heures du Mans créés en 1906 consacrent les nouvelles grandes marques des moteurs à explosion: Renault, Fiat, Opel. Henry Ford réfléchit quand même à faire un modèle électrique «low-cost» comme sa célèbre Ford-T mais les problématiques de recharge, d'autonomie et de réseau électrique insuffisant enterrent le projet. Finalement, c'est le démarreur électrique pour les moteurs thermiques, apparu en 1911, qui tue définitivement toute concurrence.

Un soubresaut de l'électrique va avoir lieu après le choc pétrolier de 1973 et aux États-Unis, après l'adoption du Clean Air Act en 1970 - une loi fédérale voulue par Nixon pour remédier à la pollution atmosphérique dans les mégapoles routières comme Los Angeles, envahies d'un épais smog (l'essence est encore au plomb). Ainsi, un crédit de 160 millions de dollars est attribué pour développer la voiture électrique mais les compagnies pétrolières (Exxon en tête) montent au créneau et le président républicain Gerald Ford (de la famille!) met son veto. Les cours du pétrole revenant à une normalité acceptable, c'est le retour de l'ordre pétrolier.

Les années 2000 remettent au gout du jour les voitures électriques avec les premières considérations sur le C02 et le «réchauffement» climatique. Aux États-Unis, des lois anti-pollution sont adoptées comme la réglementation Zero Emission Vehicle (ZEV) en 1990 qui impose un quota de véhicules non-polluants à 10 % en 2003. C'est General Motors qui espère doubler la concurrence avec en 1996, sa Electric Vehicle One (EV1) qui permet de parcourir 250 kms. Mais ça ne se vend pas. Le groupe traverse une crise et abandonne l'EV1 en 1999 pour le plus grand soulagement du lobby pétrolier et de Détroit - capitale des Big Three (Ford, GM et Chrysler). En France, c'est la même trajectoire, Peugeot construit la 106 Vedelic en 1995 mais elle est chère (34 600 euros actuels!) pour une autonomie de 100 kms. Il y aura un peu plus de 2000 clients particuliers. En 2009, sous l'impulsion du ministre de l'environnement de l'époque Jean Louis Borloo, un plan «e-voiture» est lancé et Renault développe la Zoé (du nom du premier réacteur nucléaire français). Là non-plus, ça ne se vend pas.

Le business de la voiture électrique ne décollera qu'avec Musk et sa Tesla. La société est créée en 2003 mais pendant longtemps elle est déficitaire. En 2019, son endettement cumulé atteint 11 milliards de dollars et ce n'est qu'en 2021, que les premiers gros bénéfices arrivent. N'importe quel groupe automobile aurait mis la clé sous la porte, mais Musk vient du capitalisme de la tech et de la start-up. Il a déjà fait fortune en inventant puis revendant PayPal (plateforme de paiement en ligne) et il s'appuie sur le cours de la Bourse car Tesla reste bien côtée, l'action bénéficie de l'image de marque du trublion. Dans la réalité matérielle, il y a aussi des innovations qui permettent de parler aujourd'hui du «teslisme» succédant au fordisme et au toyotisme comme rapport social au travail - même si ces deux formes de travail à la chaîne persistent et se complètent mutuellement. Tesla est le seul constructeur automobile à mouler, en une seule pièce, les larges panneaux d'aluminium qui forment la carrosserie du véhicule. Cela fait faire de sacrée économie pour les soudures. Le syndicalisme est combattu vigoureusement et Musk s'installe dans les états du Sud des USA qui n'ont pas cette tradition ouvrière. Enfin, la voiture devient un smartphone sur roue, rendant l'objet encore plus désirable. Un super-logiciel met à jour régulièrement la voiture, on peut regarder une série Netflix quand elle recharge à une borne. Tesla développe aussi des super-chargeurs qui deviennent la norme pour les autres marques, ce qui lui assure un quasi-monopole juteux. L'autonomie des voitures franchit les 600 kms (dans des conditions optimales, jamais atteintes). In fine, Tesla a réussi à prendre l'ascendant sur la concurrence. La marque marge à 9 574 dollars par vente de véhicule contre 1197 euros pour Toyota et 973 dollars pour Volkswagen. Mais attention, tout le monde ne peut pas s'acheter une Tesla, l'objet reste celui d'une élite sociale ou de personnes qui se saignent en crédit pour avoir cet objet de désir.

La démocratisation de la bagnole électrique vient de la Chine et de son groupe automobile phare: BYD pour «Build Your Dreams» qui a la prétention de devenir le leader mondial du véhicule électrique. L'entreprise a bénéficié d'investissements publics colossaux, grâce à la priorité de l'électrique donnée par le plan quinquennal du Parti (voir plus bas). Aussi le marché intérieur lui a-t-il permis de confirmer ses premiers pas, quand on sait que chaque année, 23 millions de voitures neuves sont vendues en Chine. En 2022, BYD fabrique 900 000 véhicules contre 1,3 million pour Tesla. Depuis, les deux groupes se font la course-poursuite. La société est fondée en 1995 à Shenzhen par l'ingénieur chimiste Wang Chuanfu. Il fait fortune dans les batteries lithium-ion pour les premiers smartphones puis il a élargi son activité vers le stockage d'énergie renouvelable et les transports. Aujourd'hui, c'est un groupe monstrueux de 620 000 salariés dont 60 000 à son siège social. Contrairement au numéro 1 de la batterie qui est aussi chinois (l'entreprise CATL - mais qui ne fabrique pas de véhicule), BYD veut maîtriser l'intégralité de la chaîne de valeur de l'automobile avec très peu de sous-traitants et donc une plus value maximale - de l'ordre de 25 % par rapport à la concurrence. BYD propose 6 modèles de voitures électriques dont la «Dolphin» vendue à partir de 33 900 euros (hors bonus écologique), 7000 euros moins chère que la Mégane E-Tech de chez Renault. Pour continuer à se démarquer, la marque mise sur des batteries LFP (lithium, fer et phosphate) qui sont moins performantes que les NMCL (nickel, manganèse,cobalt et lithium) mais qui sont moins gourmandes en terres rares et réputées non-inflammables. A ce jour, il y a des chaînes d'assemblage au Brésil, en Thaïlande et en Ouzbékistan, d'autres sont prévues au Mexique et en Indonésie. Mais c'est vers Europe, où la Chine vend déjà 40 % de son stock d'électriques, que les constructeurs lorgnent. Et pour maîtriser la logistique, BYD fabrique même ses propres bateaux-rouliers (8 prévus) et décharge principalement dans les ports de Flessingue (Pays-Bas) et Bremerhaven (Allemagne).

La France et l'UE dans tout ça?

Comme on vient de le voir, le marché de l'électrique est dominé par les américains et les chinois. La France et l'UE sont à la ramasse et développent tout juste leur capitalisme de la batterie (lire l'article sur la vallée de la batterie dans les Hauts de France). Néanmoins, la France dispose de quelques atouts du fait de l'existence de mastodontes automobiles comme Stellantis (ex-PSA) ou encore de la SAFT (Société d'Accumulateurs Fixes et de Traction) qui a été rachetée par Total et qui reste un des leaders de la batterie dans le monde. La SAFT est partenaire de la gigafactory qui vient d'ouvrir à Douvrin (62). En 2023, l'entreprise centenaire fait 1,2 milliard d'euros de chiffre d'affaires et emploie 4 500 salariés dans 19 pays. La marque est inconnue du grand-public car elle équipe les industriels notamment dans l'aérospatiale et l'aéronautique. On retrouve des batteries SAFT dans les Boeing, les Airbus, les Mirages, les Rafales, les fusées Ariane ou encore les satellites. Depuis 2016, Total a pris le contrôle de la société et y voit un placement durable pour son argent qui sent encore un peu trop le pétrole. Quant à la SAFT, son histoire est sulfureuse.

La SAFT, mais aussi d'autres marques françaises de piles comme Fulmen ou Wonder, ont eu l'Armée comme cliente privilégiée et pendant la Seconde Guerre Mondiale, ils vont faire comme les autres, collaborer allégrement avec le système nazi et consorts. Mais avant, il y a la Première Guerre Mondiale. Déjà, il y a de l'électrique dans certains véhicules militaires, en premier lieu desquels, les sous-marins qui ont besoin de discrétion sous l'eau. Concernant la SAFT, elle est réquisitionnée pour fabriquer du gaz toxique, le phosgène (l'autre nom de l'oxychlorure de carbone) moins célèbre que l'ypérite, mais qui sera responsable de 85 % des tués par arme chimique entre 1914-1918. Entre 1939-1945, la société va collaborer pleinement avec l'Allemagne en travaillant avec l'AFA (Accumulatoren Fabrik Aktiengesellschaft) qui fabrique la célèbre pile Varta. Les deux usines françaises sont alors à Romainville (93) et à Lille (entreprise Tudor) et elles sont mises à disposition de l'occupant ainsi que leur matière première. En 1946, la SAFT et la plupart des grands industriels qui ont collaboré sont graciés - le patron de Renault meurt, certes, en prison mais avant d'avoir été jugé. L'économie passe au dessus de tout! De son côté, l'AFA et son patron Gunther Quandt étaient propriétaires de deux camps de concentration: le Hanovre-Stöcken et le Mauthausen-Gusen en Autriche. Les prisonniers y travaillaient le plomb et le manganèse et l'espérance de vie était de 6 mois car les forçats mourraient de saturnisme. Les batteries fabriquées servaient pour les V2. Acquittée, elle aussi, après la guerre, la famille Quandt restera au capital de Varta jusqu'en 1990 et aujourd'hui, c'est un grand actionnaire de BMW (47%).

Revenons-en à aujourd'hui et l'Union Européenne. Cet espace communautaire de libre-échange cherche à se protéger, comme les autres, de la concurrence en utilisant les droits de douane. Quoiqu'ils disent du sacro-saint libéralisme à Bruxelles, les importations de voitures électriques chinoises sont taxées à 38 %, depuis juillet 2024 - qui s'ajoutent aux 10 % de droits de douane déjà existants. Cela varie en fonction des marques: 17,4 % au fabricant chinois BYD, 19,9 % à Geely et 37,6 % à SAIC. La justification est que le gouvernement chinois subventionne le secteur et donc c'est de la concurrence déloyale. Mais cela n'empêche pas les affaires, car en 2024, les entreprises chinoises ont 22 % du marché européen contre 3 %, trois ans plus tôt. Dans les antichambres du pouvoir, il y a des négociations perpétuelles «si tu me taxes, je te taxe», etc. Autre stratégie de contournement, des usines viennent s'implanter sur le terrain communautaire à l'image de BYD qui annonce l'ouverture prochaine d'une chaîne de montage, à Szeged en Hongrie. Des pourparlers ont aussi lieu avec l'Italie de Méloni qui souhaiterait mettre fin au monopole du conglomérat Stellantis (Fiat-PSA-Opel). Rappelons pour finir que le secteur automobile dans l'UE représente 14,6 millions d'emplois et 7 % du PIB.

Le virage de la transition

La voiture électrique est devenue le symbole de la Transition que veulent nous vendre les capitalistes. Ce terme remplace celui galvaudé de développement durable mais, à creuser, c'est la même logique: celle de verdir le capitalisme pour faire croire qu'il est compatible avec un futur vivable et désirable. Le mot dans son sens actuel, a été popularisé par Rob Hopkins, un universitaire britannique qui souhaite adapter les villes aux changements climatiques. Aujourd'hui, la Transition est partout, elle est énergétique, démocratique, environnementale et on l'accole volontiers à l'idée de Résilience pour bien nous faire comprendre qu'on ne doit pas se rebeller, accepter la nouvelle donne et s'adapter. Si on se penche sur la transition énergétique, elle est complètement creuse car les sources d'énergie, au lieu de se remplacer, s'additionnent. C'est ce que montre très bien, Jean-Baptiste Fressoz dans son livre Sans Transition. Nous n'avons jamais autant consommé de bois, de charbon, de pétrole, d'uranium et demain de terres rares pour subvenir aux besoins du système capitaliste (production, consommation, communication). Derrière cette fumisterie, les discours se construisent quand même pour faire croire à une vraie révolution comme, celle, de la voiture électrique. Après les mots, il y a les actes politiques et économiques qui sont en train de structurer la société et le travail de demain.

Au niveau politique, l'offensive de ce parangon du «nouveau» capitalisme qu'est la Transition a lieu autour de l'année 2015 durant laquelle trois évènements-clés sont à noter:

* Mars 2015, le Parti Communiste Chinois lance la stratégie «Made in China 2025» qui consiste à faire passer le pays de producteur de masse à producteur de qualité. Les plans quinquennaux - ici le 13eme et le 14eme - sont de formidables outils d'investissements publics massifs dans des secteurs comme: l'intelligence artificielle, la 5G, la robotique, les biotechnologies, l'aérospatial, les semi-conducteurs, le nucléaire, les énergies renouvelables et les voitures électriques. Derrière la montée en gamme des batteries, il y aussi un problème de santé publique, celui de la pollution atmosphérique qui provoque la mort prématurée de près de deux millions de Chinois (trois fois plus que le Covid). Sans oublier que les épisodes de smog de pollution paralysent l'activité sociale et économique des grandes villes car des écoles et des usines ferment, parfois pendant plusieurs jours. Aujourd'hui, il est difficile de savoir combien le gouvernement chinois a déboursé pour ce plan économique mais certains parlent de plusieurs centaines de milliards de dollars.

* Septembre 2015, c'est le «dieselgate» qui, au départ, concerne Volkswagen mais en réalité touche tous les grands groupes automobiles. Des scientifiques indépendants mesurent des taux de rejet de polluants (dont le dioxyde d'azote) beaucoup plus élevés que ce annoncés par les fabricants. On découvre que Volkswagen a élaboré un logiciel secret qui minimise la pollution de ses véhicules Diesel alors que la marque faisait son beurre en déclarant avoir inventé un «diesel propre». Le scandale donne une occasion d'annoncer des tournants politiques en matière de transports. Cela aboutira, entre autres, au Pacte Vert européen en 2019. La Commission Européenne prévoit des investissements de 1 000 milliards d'euros sur 10 ans pour financer la transition énergétique avec le renouvelable mais aussi le nucléaire, les batteries électriques. L'objectif est la neutralité carbone en 2050.

* Décembre 2015, c'est la COP21 à Paris qui est une grande mise en scène de la prise de conscience climatique. Toutes les parties prenantes se fixent la limite de +1,5 degrés Celsius à ne pas dépasser. Dix ans plus tard, nous avons déjà franchi cette limite et les estimations vont croissant sur le dérèglement des températures. Cette COP21, auréolée de l'expertise des scientifiques du GIEC, préconise toutes une série de scénarios et de solutions pour s'adapter à la crise climatique: la voiture électrique y est citée comme la taxe carbone qui pousse les capitalistes dépendants des énergies fossiles à réinvestir dans le «vert»

L'Union Sacrée de la batterie

Comme pour toute révolution industrielle auto-proclamée, États, industriels, scientifiques, journalistes se mettent au diapason pour faire émerger et accepter un mode de production et d'accumulation du capital aux territoires en question. Cela commence par un «pognon de dingue». L'expression, chère à Macron, résume bien le biberonnage des capitalistes de la batterie (qui sont les mêmes que ceux du pétrole) par les États plus ou moins autoritaires. Chaque pôle économique va développer son secteur (voir plus haut): la Chine avec la société BYD et CATL, les États-Unis avec Tesla et enfin L'UE avec Stellantis, Volkswagen, Fiat, etc. Pour chaque gigafactory, les bourgeoisies politiques avancent quasiment un tiers des investissements pour la mise en route de la production, la circulation des marchandises et finalement la mise à disposition complète du territoire et de sa main d'oeuvre (voir article sur la vallée de la batterie dans les Hauts-de-France). Enfin, il y a les aides à la consommation pour stimuler la demande qui sinon serait en berne.

En France, le bonus écologique et la prime à la conversion écologique sont mis en route pour un cout de 8 milliards d'euros. Il y a aussi le plan France Relance 2030 mis en place juste après le COVID qui prévoit d'investir 54 milliards d'euros pour réindustrialiser la France sont 5 milliards uniquement pour les voitures électriques. Voilà pour la carotte, il faut désormais un bâton pour obliger la population à changer de comportement. C'est chose faite avec la création des ZFE, zones à faible émission (de CO2) en 2019 et la Loi d'orientation des mobilités qui les rend obligatoires dans les grandes métropoles françaises, que tout le monde est amené à fréquenter à un moment ou un autre. La loi Climat et Résilience de 2021 a précisé la temporalité des interdictions de circulation pour les véhicules les plus polluants: Crit'air 5, interdit en 2023; Crit'air 4 en 2024; Crit'air 3 en 2025. Si on ne respecte pas la loi, les automobilistes encourt une amende de 3eme classe (68 euros). Certains villes l'appliquent comme Lyon, tandis que beaucoup d'autres jouent la montre sentant que le sujet est explosif socialement, à l'instar de Lille. Mais avec le retour de la rigueur budgétaire et le spectre d'une énième crise, les choses stagnent. La prime à la conversion appelée aussi prime à la casse vient d'être supprimée en 2025. Elle permettait d'avoir jusqu'à 5000 euros pour changer sa voiture contre une électrique. Les ZFE sont remises en cause au Parlement notamment par l'extrême droite qui y voit un moyen de faire du «social».

La gauche social-démocrate participe bien évidemment à cette union sacrée de l'écologie bourgeoise. Les Verts, les Insoumis applaudissent comme les autres à la transition énergétique et au fait que l'on doit tous avoir une voiture électrique. Il faut lire les déclarations des uns et des autres à l'annonce de l'ouverture d'une gigafactory sur le territoire, tout le monde vote oui (voir article sur les Hauts-de-France). Pareil pour les associations écologistes type Greenpeace, Young for the Climate, etc. Le discours alarmiste et la peur de l'effondrement empêchent ou invisibilisent tout discours critique du capitalisme de la transition. Le seul horizon est celui de la gestion ou de la réforme du système sans jamais évoquer sérieusement la rupture révolutionnaire avec une remise en cause sérieuse du travail et des rapports sociaux affiliés, l'avènement du communisme-libertaire! Avant ça, il ne faut pas bruler les étapes et voir de quoi on part, pour le moment, ce n'est pas la joie.

Des contradictions, espoirs de lutte?

Le capitalisme de la Transition et de la batterie est à combattre comme toutes les autres formes de capitalisme. C'est la résurgence du vieux capitalisme de la bagnole et du pétrole couplé à celui du nucléaire qui cherchent à se refaire une jeunesse, avec les mêmes tares. Parmi elles, il est intéressant de souligner certaines contradictions déjà existantes qui peuvent donner des espoirs d'effritement et la création de potentiels espaces de lutte. On l'a dit, le secteur traverse en ce moment, une vallée de la mort (voir article sur les Hauts-de-France). La demande n'est pas au rendez-vous et l'offre n'est pas complète. La société Northvolt a récemment déposé le bilan. Suez, qui gère le recyclage des batteries, met en pause son programme d'investissements. Quant aux technologies de batteries, entre le lithium-ion et les autres procédés, on ne sait pas laquelle va sortir vainqueure de la compétition en cours. En face, le capitalisme de la bagnole thermique reste fort et pour le moment, le réalisme énergétique continue de faire pencher la balance vers le pétrole, qui reste abordable (jusqu'à quand?) et plus efficace dans son rapport poids/puissance. L'impression occidentale de Transition peut aussi être un leurre quand on change d'échelle. L'Asie et surtout l'Afrique restent des continents peu motorisés, les estimations de consommation et de croissance économique y sont fortes et les capitalistes iront mettre leurs usines au plus près des marchés et d'une main d'oeuvre bon marché. L'Europe risque de rester un désert industriel quoiqu'en disent les discours sur la réindustrialisation. Qui plus est, en France, il y a le biais du nucléaire qui fournit la majorité de notre électricité mais cela reste une exception dans le monde. Comment des pays en développement pourraient-ils fournir assez d'énergie pour des batteries, sans compter le besoin de mailler le territoire de bornes de rechargement. Mais, gardons à l'esprit, que ces capitalismes concurrents sont en réalité bien souvent les mêmes. Total a racheté la SAFT, les constructeurs automobiles ne changent pas, ils diversifient juste leur activité.

Ces capitalismes ne sortent pas de la tendance actuelle, celle de la surproduction et de la baisse tendancielle du taux de profit. Des kilomètres de parking se remplissent sur les ports pour des voitures qui ne trouvent pas preneur_, les chaînes logistiques se grippent avec, par exemple, une guerre entre industriels pour avoir des camions de livraisons - depuis le COVID, il y a un manque important de chauffeurs routiers. Les chaînes de montage sont en surcapacité. Tout cela se répercute, en premier lieu, sur le travail: salaires, conditions de travail qui vont continuer à se dégrader. Cela amènera surement des contestations qui, espérons-le, prendront le dessus et arriveront à enclencher un rapport de force en notre faveur. L'automobile reste un secteur-clé du capitalisme où les conditions de travail sont les plus rudes car imposées par la mécanique de la chaîne et un encadrement qui veut exploiter chaque moment de travail (chasse à la pause). C'est un secteur qui voit émerger des luttes de classes fortes comme avec PSA-Aulnay en 2013 (voir l'article sur le film «on n'est pas nos parents). Plus récemment, fin 2023, aux États-Unis, il y a eu une grève historique menée par l'UAW (Union Automobile Workers) qui a obtenu des hausses de salaires importantes (+20%). Ce n'est que dans des luttes que les choses peuvent changer radicalement et qu'on peut remettre en question le capitalisme. Certes aux Etats-Unis, il n'y eu aucune remise en cause du modèle, au contraire, mais l'espace et le temps de la grève, de la lutte étaient là, et peuvent ouvrir des perspectives.

On peut également souligner les contradictions que peuvent amener l'extractivisme des terres rares à l'autre bout du monde. Celles-ci deviennent un enjeu géopolitique majeur comme on l'a vu avec les déclarations de Trump sur le Groenland ou Poutine en Ukraine. En sous-texte, c'est le retour de l'impérialisme le moins édulcoré avec le mercantilisme, appelé aussi le «capitalisme de la finitude» (expression de l'économiste Arnaud Orain). A long terme, cela recréera des tensions voir des conflits, dans lesquels il faudra se positionner politiquement.

Des contradictions, plus anthropologiques, se font jour. L'électricité et ses batteries distillent le mythe de la toute puissance en tout lieu pour tout le monde. Parce qu'on a une batterie ou plusieurs dans la poche, on pense être libre, autonome, puissant. Or, c'est une illusion totale, car nous sommes en réalité de plus en plus dépendants et asservis par le tout-électrique/informatique qui régit nos faits et gestes quotidiens. A l'inverse, chaque individu et sa voiture peuvent être considérés comme un stock qu'on peut utiliser quand le macro-système en a besoin. Ainsi, des batteries bidirectionnelles ont été mises au point notamment par Renault. Ça s'appelle le « V2G », vehicle to grid (du véhicule vers le réseau) ou « V2H », vehicle to home (du véhicule a la maison). En gros, c'est un système qui permet de sortir de l'électricité des batteries quand le réseau électrique est sous-alimenté ou d'arrêter la charge pendant les heures de pointe, où la consommation est trop forte.

Comment lutter contre et pour, à la fois?

Que faire pour s'opposer à cela? D'abord, démonter le discours sur la Transition et en développer une critique, ce que l'on essaie de faire à notre échelle. Ensuite, s'appuyer sur les luttes en cours notamment contre l'extractivisme des terres rares. En France, des batailles ont lieu sur le lithium (voir dans ce numéro), sur des zones portuaires qui importent des matériaux et ailleurs, des oppositions locales sont à soutenir contre ce vaste marché mondial. Les kanaks en Nouvelle-Calédonie critiquent en partie, l'extraction coloniale du nickel. Des luttes de territoires peuvent naître aussi autour des études environnementales et des débats publics, prévues par la Loi qui peuvent être des moments d'agitation, de réunion, d'organisation de collectifs. Les recours juridiques permettent de gagner du temps, mais, nous ne leurrons pas, c'est provisoire et insuffisant. Surtout depuis que des lois accélèrent les démarches pour permettre l'installation des «entreprises durables». Ainsi la loi d'accélération des énergies renouvelables (février 2023) prévoit _ «jusqu'à 5 ans de délai réduit pour un projet solaire photovoltaïque, jusqu'à 2 ans de délai réduit pour les projets éoliens en mer» et accorde une «présomption de raison impérative d'intérêt public majeur» qui autorise certains chantiers à déroger à la protection de la faune et la flore; elle réduit l'instruction des demandes d'autorisation environnementale; et si d'aventure un préfet n'accorde pas ladite autorisation - dossier mal ficelé ou projet manifestement illégal - un «Fonds de garantie» couvrira les pertes financières liées à la procédure. Voilà qui devrait sécuriser les industriels. Enfin, la loi dite «Industrie verte» du 10 octobre 2023 permet aux usines labellisées «intérêt national majeur» de déroger au Code de l'environnement. Pour contrer cet attirail législatif, le rapport de force doit être d'autant plus fort et s'appuyer sur d'autres composantes, notamment celle centrale du travail. Pour l'instant, il n'y a pas de recul nécessaire sur la condition ouvrière dans les gigafactories et consorts, car elles viennent d'ouvrir. Mais tablons sur des luttes sociales qui peuvent apporter au rapport de force contre ces «golems de lithium»

Que proposer à la place? C'est l'autre grande question pour proposer un contre-modèle. Il faut revenir aux racines du combat écologiste des années 1970, celui de la critique sévère de la bagnole et du nucléaire. Les voitures, ça pollue, ça tue, ça rend nos vies bruyantes et stressantes. Mais cela doit aller avec la critique des formes d'exploitation liées à la bagnole: le fait de devoir la prendre pour aller bosser, faire des courses, aller en vacances, etc. Se contenter de dire qu'il faut des mobilités douces, c'est souscrire au discours écolo-bourgeois d'une certaine classe urbaine favorisée en oubliant la réalité sociale des prolos. La dimension de classe doit être centrale, moins de bagnole, plus de vélo, c'est pour tout le monde ou pour personne!

Margat, avril 2025

https://oclibertaire.lautre.net/spip.php?article4447
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