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(fr) Alternative Libertaire #356 (UCL) - Chute du régime syrien:Impasse ou opportunité pour le peuple?
Date
Tue, 14 Jan 2025 17:40:44 +0000
La Syrie est débarrassée d'une dictature présente depuis cinquante ans
et qui a fait près d'un demi-million de morts. Les pays qui l'entourent
ont des cartes à jouer et placent déjà leurs pions. Et si les
différentes factions vont tenter de se partager ou de se disputer le
pouvoir, le peuple syrien a peut-être ici l'occasion de reconstruire des
institutions solides et démocratiques. ---- Le régime de Bachar Al Assad
est tombé le 7décembre. Point final d'une offensive éclair lancée le
27novembre, au lendemain de la trêve entre le Hezbollah et Israël,
l'opposition armée a pris Damas sans réelle résistance. Privé du soutien
de ses parrains russes et iraniens, Bachar Al Assad, héritier d'une
dictature en place depuis plus de cinquante ans, a fui le pays pour la
Russie. Il est responsable de près d'un demi-million de mort·es en
quinze ans et de la fuite de six à sept millions de réfugié·es.
L'attaque a immédiatement révélé l'état de déliquescence de l'armée
syrienne, incapable de stabiliser une ligne de front malgré l'avantage
aérien russe. L'effondrement du régime a permis aux factions
historiquement plus libérales de l'Armée syrienne libre (ASL), qui
avaient privilégié sans succès la négociation avec le régime, de se
soulever et de libérer le sud du pays.
Les Forces démocratiques syriennes (FDS) ont du faire faces aux attaques
des milices de l'État turc regroupées dans l'Armée nationale syrienne
(ANS) qui menace directement le projet démocratique de l'Administration
autonome du nord et de l'est de la Syrie (AANES).
L'incertitude politique se dessine
Avec la chute du régime, le peuple syrien, dans ses identités
plurielles, fait face à de nombreux défis. Panser les plaies de la
guerre, sans même parler de celles d'un demi-siècle de dictature,
demande des efforts collectifs titanesques.
D'abord, les nouvelles forces dominantes de la révolution, à la tête
desquelles se trouve HTS[1], chercheront l'unification au sein de leur
rangs. Cette coalition constituée de factions qui avaient un objectif
commun, celui de la chute du régime, doit maintenant faire face à la
prise de pouvoir et la guerre des places.
L'absence quasi totale d'une armée «contre-révolutionnaire» permet
d'accorder du temps au politique, avec le début d'un travail de
transition entre des ministres de l'ancien régime et des noms soumis par
HTS. Reste qu'ici aussi, les tentations d'appropriation exclusive du
pouvoir sont grandes. HTS, avec leur chef Ahmed Hussein al-Shar'a et sa
légitimité actuelle, pourrait prendre le dessus militairement sur les
autres factions et le faire valoir politiquement.
Pour l'instant, Mohammed al-Bashir, premier ministre de pré-transition
nommé par HTS, a jusqu'à début mars pour constituer un gouvernement de
transition. Celui-ci une fois formé travaillera sur une nouvelle
constitution.
Actuellement le territoire de la Syrie, héritier des découpages
coloniaux du siècle passé[2], contient différentes identités. Certaines
«ethniques» (arabes, kurdes, etc.), d'autres religieuses (sunnites,
chiites, alaouites, chrétiennes, etc.), ou ethno-religieuses comme c'est
le cas pour les Druzes.
La Syrie est héritière de cette Histoire, et son territoire, fragmenté,
est composé de différentes communautés et projets politiques. Le cas de
l'AANES est un des enjeux majeurs. Elle contrôle un territoire à
dominante kurde, peuple historiquement opprimé, où un projet de société
démocratique est appliqué depuis 2012. Le tout non sans obstacles et
contradictions, notamment ses liens avec l'ancien régime et les
impérialismes occidentaux, au grès des menaces de Daesh et de l'État turc.
Plusieurs questions se posent aujourd'hui. Le gouvernement de transition
à dominante islamiste et panarabe arrivera-t-il à dépasser ses carcans
pour laisser la place aux diversités culturelles et politiques dans le
projet de constitution? Quel projet l'AANES élabore-t-elle vis-à-vis
d'une Syrie sans dictature des Al Assad? Quelles places auront les
minorités? Si HTS a abandonné de nombreuses caractéristiques d'un groupe
djihadiste classique et cherche à se construire une façade de
respectabilité et de fiabilité pour administrer une population, les
rapports alarmants sur les violations des droits humains pendant sa
gouvernance d'Idlib montrent un flagrant décalage avec leur discours actuel.
Trouver un regain économique et social
L'effondrement du régime des Assad est également du à une situation
économique catastrophique. À la prédation et la corruption clanique et
militaire depuis le début de la dictature, s'est ajouté le cannibalisme
économique durant la période de la guerre civile. Des services étatiques
aux milices de quartiers, des secteurs entiers s'enrichissaient ou ne
tenaient que par le pillage. Une des rentes principales du régime était
la production, la vente et l'export de drogues.
Cette situation a mené à une dévaluation record de la monnaie syrienne,
compliquant même l'achat de produits premières nécessité.
Une des priorités pour le gouvernement de transition est aussi la levée
des sanctions occidentales, nécessaire à une entrée de fonds
internationaux. Cela ne saurait tarder car la prédation des
capitalistes est déjà en place, notamment dans le secteur du bâtiment
turc qui ont vu leurs actions bondir depuis la chute du régime[3].
Jusqu'à maintenant, la situation n'est surmontée que par les privations,
la débrouillardise et des solidarités dans des pans entiers de la
société syrienne.
À la question économique s'ajoute la question sociale. Les images des
prisonnières et prisonniers sorti·es des geôles atroces du régime, et
celles des familles toujours à la recherche de leur proches disparu·es,
ouvrent un nouveau chapitre judiciaire. Il faut respecter un temps de
reconnaissance des souffrances suivi d'un temps de réparation. La
justice devra surmonter le gouffre des plaies ouvertes et sera la base
d'une réconciliation inter, mais aussi intra-communautaire. La jeunesse
sacrifiée et broyée depuis des décennies pourra porter le dépassement
d'un tel héritage en participant à la reconstruction d'institutions
ancrées, solides et démocratiques.
Les jeux des impérialismes
Les jeux des puissances impérialistes régionales et occidentales pèsent
lourd sur la Syrie et chacune va chercher à profiter des événements: la
Russie a subi un revers majeur, lâché Assad et va chercher à négocier
avec le nouveau pouvoir syrien pour conserver ses bases militaires sur
la côte syrienne.
Israël a profité du vide laissé par le régime pour envahir le plateau du
Golan. La prise du mont Hermont constitue un avantage militaire majeur,
permettant de couvrir, par sa hauteur, la majeure partie de la Syrie et
du Sud du Liban. Israël a effectué plus de 300bombardements pour
détruire les armes du régime. Son gain principal est la coupure de
l'approvisionnement d'armement de l'Iran vers le Hezbollah libanais. Il
est probable qu'Israël continuera à bombarder la Syrie où et quand il
veut, avec l'approbation des États-Unis.
La Turquie a un objectif prioritaire: empêcher toute unification des
territoires autonomes kurdes à ses frontières, en finir avec l'AANES et
avec le PKK. Ses proxys de l'ANS ont envahi les quartiers kurdes
d'Alep, Tall Rifat, Manbij, menacent à la mi-décembre Kobané et occupent
toujours le canton d'Afrîn, et de larges zones dans le nord du pays.
L'Iran, de même que l'Arabie saoudite et les Émirats arabes unis,
semblent pour le moment hors-jeu.
Les États-Unis sont également présents en Syrie au nom de la lutte
contre le terrorisme. Ils se positionnent en médiateurs entre la Turquie
et l'AANES, ayant intérêt à la survie de l'AANES, leur partenaire contre
Daesh. Ils campent pour l'instant une posture d'observateurs.
Quelles perspectives?
Dans la période et à l'avenir, plusieurs défis s'élèvent devant le
peuple syrien, avec ses identités et cultures plurielles d'un côté, les
appétits et ingérences étrangères de l'autre, et une expérimentation de
ce qui n'a jamais été connu en dehors de la dictature.
Pour les révolutionnaires, détourner le regard de la Syrie parce que la
révolution n'est pas communiste ou autogestionnaire serait a minima une
erreur. Y arrive-t-on ici, nous? Car dans les plis de l'histoire, une
société soumise à autant de défis pourrait ouvrir des chemins, des
exemples à suivre: comment les plaies sont pansées; comment une prise de
confiance collective peut se faire; comment construire autre chose que
la domination et l'oppression?
Les impasses possibles sont connues, comme le retour d'une dictature
sous d'autres couleurs.
Peut-être que l'espoir viendra d'un croisement d'attentes et
d'initiatives, entre le retour des exilé·es qui participeront à
redynamiser la vie politique, économique et sociale, le refus collectif
de perpétuer le cercle des vengeances, et la pression que cette société
civile mettra aux tenants du pouvoir.
On songe un instant à l'exemple yougoslave et son échec, on regarde la
Syrie convaincu·es que l'histoire n'est pas finie.
Marouane (UCL Nantes), Pauline (UCL Finistère)et Dahel (UCL Fougères)
Notes:
[1]Hayat Tahrir al-Cham, faction rebelle, rivale de l'ANS.
[2]Notamment via les Accords Sykes-Picot ou la Déclaration de Balfour
dans lesquels les puissances occidentales ont organisé le découpage
territorial du Proche-Orient.
[3]Le secteur de la construction turc s'éveille avec l'effondrement du
régime syrien, sur tunisienumerique.com, 10 décembre 2024.
https://www.unioncommunistelibertaire.org/?Chute-du-regime-syrien-Impasse-ou-opportunite-pour-le-peuple
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