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(fr) Courant Alternative #345 (OCL) - L'immigration: une obsession des Etats
Date
Wed, 18 Dec 2024 17:49:39 +0000
Le gouvernement de Barnier-Retailleau poursuit de façon encore plus
brutale la démarche engagée par le gouvernement de Macron-Darmanin en
matière de politique migratoire (1). ---- A peine une année après la
promulgation de la loi Asile et Immigration (le 26 janvier 2024),
mesures racistes et anti-sociales et dont on mesure déjà les effets
dramatiques, la question migratoire se retrouve une nouvelle fois au
centre du jeu politique et médiatique. ---- A peine nommé, le
gouvernement Barnier en fait son cheval de bataille. Ce qui lui est
utile pour obtenir les bonnes grâces du RN et qui lui sert d'exutoire
aux vrais problèmes. ---- Le ministre de l'Intérieur, Retailleau, est en
train de concocter une autre loi immigration pour 2025, destinée selon
lui à réduire l'immigration, y compris légale. Comme à chaque fois, le
sujet migratoire bénéficie d'une visibilité particulièrement forte et
est instrumentalisé à des fins politiciennes, broyant des vies au passage.
Instrumentaliser l'immigration
Début septembre, le nouveau Premier ministre Barnier déclarait avoir le
sentiment que «les frontières sont des passoires». En 2021, lors des
primaires du parti Les Républicains, il appelait à la nécessité de
mettre fin aux «régularisations massives» et de réduire «de moitié» le
nombre d'étudiants étrangers.
Il a choisi de nommer plusieurs ministres dont les positions sont du
même acabit. C'est le cas de Retailleau, ministre de l'intérieur; ce
catho réactionnaire extrême, de taille à amadouer les 122 députés RN,
est une véritable gratification adressée aux propagateurs de haine
anti-immigrés. Cet ancien patron des Républicains au Sénat s'était vanté
d'avoir considérablement durci le projet de loi porté Darmanin, en
faisant adopter des amendements qui allaient être censurés par le
conseil constitutionnel.
Le vocabulaire de M. Retailleau est celui de l'extrême droite. Il
n'hésite pas à emprunter la voie tracée par le RN, renforçant un
discours et des attitudes anti-immigrés. Il adopte par exemple
l'expression xénophobe «Français de papiers» (2), lors des émeutes
suivant l'assassinat de Nahel par la police; ou bien il déclare que
«l'immigration n'est pas une chance», énoncé qui figurait en entame du
discours officiel de campagne de Jean-Marie Le Pen, en 1995 et qui est
repris par sa fille; ou encore il ose: «l'Etat de droit n'est pas
intangible ni sacré». (3)
Une loi pour 2025 toujours plus dure
Le gouvernement prétend que l'immigration est une préoccupation majeure
des Français, et il fait en sorte que le thème occupe fortement l'espace
politico-médiatique.
Face aux vraies difficultés rencontrées par la plupart des gens, cout de
la vie, logement, travail, éducation, santé, écologie..., les
gouvernants n'ont rien à proposer si ce n'est l'austérité, la réduction
des allocations, la hausse des prix, l'absence de logement, les
défaillances des services publics, etc.... Dans ce contexte, les
migrant·es, présenté.es comme menace potentielle et responsables de tous
les maux, font figure de boucs émissaires pour détourner l'attention.
Chaque nouveau ministre va de pair avec une nouvelle loi sur
l'immigration et cette surenchère législative a pour objectif de durcir
toujours plus les politiques migratoires qui s'empilent..
Le programme que prépare Barnier-Retailleau est clair et se révèle bribe
par bribe avant que soit présentée, pour début 2025, sa version finale:
restreindre les droits, criminaliser les migrant.es et des personnes
solidaires, réprimer les personnes exilées, expulser et enfermer à tout-va.
Contrôler
L'immigration n'étant prise que sous le prisme sécuritaire et celui des
entrées irrégulières, les Etats doivent montrer qu'ils sont capables de
maîtriser et de contrôler leurs frontières.
La France, de même que d'autres pays européens, a rétabli les contrôles
à ses frontières intérieures en octobre 2015 et les maintient
constamment verrouillées depuis. Pourtant, en vertu du principe de libre
circulation dans l'espace Schengen, un État membre ne peut rétablir les
contrôles à ses frontières intérieures plus de 6 mois, sauf s'il
apparaît une nouvelle menace grave pour l'ordre public ou la sécurité
intérieure, et distincte de la précédente. C'est donc au mépris du droit
de l'Union européenne que le gouvernement impose et conserve un contrôle
systématique et permanent des mouvements de personnes étrangères à ses
frontières, notamment terrestres.
Réprimer et enfermer dans les CRA
Retailleau veut porter à 120 jours, voire 210 jours (c'est le cas
aujourd'hui seulement en matière de terrorisme), contre 90 jours
aujourd'hui, la durée maximale de détention dans les Centres de
rétention administrative, ces établissements-prisons où sont placés
chaque année plusieurs dizaines de milliers d'étrangers sans titre de
séjour, en vue de leur éloignement contraint (obligation de quitter le
territoire français, OQTF)
Cette mesure d'allongement de la durée de rétention est démagogique,
liée à l'instrumentalisation du meurtre de Philippine (4). En réalité,
seulement 3% des personnes qui sont enfermées dans les CRA au-delà de 75
jours sont finalement expulsées; la prolongation du temps de rétention a
donc très peu d'efficacité. En revanche cela allonge fortement la
souffrance des personnes qui subissent cet enfermement.
La rétention est de plus en plus utilisée comme un élément de politique
sécuritaire, y compris pour des personnes n'ayant aucun parcours pénal,
ou pour lesquelles l'expulsion est manifestement impossible. «On n'est
pas en train de créer une rétention administrative pour expulser des
personnes mais plus une mise à l'écart de personnes qu'on ne souhaite
pas voir dans notre société» selon Paul Chiron (Cimade)
Retailleau a en outre fait savoir qu'il allait demander aux préfets
qu'ils fassent systématiquement appel de la libération d'un CRA, même si
cet appel n'est pas suspensif.
Dans sa ligne de mire figurent également les associations qui
interviennent dans ces centres pour apporter une aide juridique et
sociale aux personnes retenues. Bafouant la liberté d'expression et
refusant toute forme de contre-pouvoir, Retailleau veut transférer cette
compétence à l'Office français de l'immigration et de l'intégration, qui
est sous tutelle de son ministère, et la refuser aux associations qu'il
considère comme étant «juge et partie»
Expulser
La France est l'Etat de l'UE qui prononce le plus de mesures
d'éloignement (OQTF) sans pour autant parvenir à expulser plus.
A peine nommé, le ministre de l'Intérieur a réuni les préfets des dix
départements où il y a «le plus de désordre migratoire» pour leur
enjoindre «d'expulser plus, de régulariser moins».
Retailleau ne ménage pas sa peine pour tenter de rendre effectives les
obligations de quitter le territoire français, dont il voudrait qu'elles
soient associées plus systématiquement à des IRTF (Interdictions de
retour sur le territoire français). On l'a vu, cornaqué par Barnier, à
la frontière italienne où il a pu dire tout le bien qu'il pensait de la
politique de Meloni d'externalisation du traitement de l'asile grâce à
des accords passés avec la Tunisie et l'Egypte, peu importe que ce soit
au prix de graves violations des droits humains. Puis, il est apparu aux
côtés de Macron pour faire de larges sourires au roi du Maroc afin que
ce pays accepte d'améliorer la coopération contre l'immigration
irrégulière en conditionnant la politique de visas à la délivrance des
laissez-passer consulaires, indispensables pour renvoyer un étranger
dans son pays d'origine,
Réduire les maigres droits
Par ailleurs, Retailleau souhaite réintroduire les mesures de la loi
Darmanin qui avaient été censurées par le Conseil constitutionnel car
considérées alors sans lien direct avec le texte d'origine:
l'instauration d'un délai de trois ans de résidence pour l'accès à des
prestations sociales, la limitation des dépôts de demande d'asile au
sein des postes consulaires français à l'étranger, le durcissement des
conditions du regroupement familial et de la migration étudiante, le
délit de séjour irrégulier...
De son côté, le Secrétaire d'État chargé de la Citoyenneté et de la
Lutte contre les discriminations, Othman Nasrou, veut que soit augmenté
le niveau de français pour les personnes demandant un titre de séjour de
longue durée. Un examen pour en vérifier l'acquisition au niveau A2
(usuel) n'est pas suffisant, à ses yeux, pour montrer une bonne
intégration; de plus, il veut étendre cette épreuve à la plupart des
titres de séjour: regroupement familial, demande d'asile, carte de
séjour «salarié», ou «retraité».
Une façon supplémentaire de fragiliser le droit au séjour.
Retailleau a l'intention d'annuler la circulaire du 28/11/2012, dite
«Valls», qui fixe les critères de régularisation par le travail et
permet également aux parents d'enfants scolarisés d'obtenir un titre de
séjour «vie privée vie familiale».
Même si cette circulaire est imparfaite - la procédure est livrée au bon
vouloir des employeurs et des préfets - et qu'elle est très diversement
appliquée par les préfectures - un tiers d'entre elles ne l'appliquent
pas -, elle est le seul moyen pour les travailleur.es sans papiers
d'être régularisés et de faire valoir leurs droits face à un patronat
qui profite de leur vulnérabilité administrative pour les surexploiter.
Pour ce qui concerne l'aide médicale de l'Etat (AME) (5), le
gouvernement prévoyait d'en accroître de 8 % les crédits dans le cadre
du budget 2025, passant à 1,3 milliard d'euros contre 1,2 milliard en
2024. Finalement il y renonce, ce projet d'augmentation ayant suscité de
vives protestations chez des élus du RN.
Certes, la dureté en matière d'immigration affichée par Retailleau
relève plus de coups de com' et de posture idéologique que de réelle
efficience. En réalité il ne pourra pas faire beaucoup plus que ses
prédécesseurs, ni plus exécrable. Surtout, il est clair que les
stratégies étatiques destinées à contrôler les «flux migratoires»
n'arrêtent pas les candidat.es à l'exil. En revanche, elles ont la
terrible conséquence de basculer ceux et celles-ci dans l'illégalité et
de les pousser à prendre des risques de plus en plus grands pouvant les
conduire à la mort (6).
Expulsion/Exclusion
A défaut d'arriver à une expulsion de masse des migrant·es, ce qui n'est
pas possible et peu réaliste les Etats appliquent une version déjà à
l'oeuvre, mais insuffisamment exécuté: une exclusion de masse, autre
forme d'expulsion, celle du cercle de l'appartenance nationale où les
citoyen·nes disposent d'un système de droits/devoirs en principe égaux;
une expulsion qui permet aux immigré·es de rester sur le territoire,
mais en permission conditionnelle.
Certes les expulsions du territoire demeurent à l'agenda, mais elles
sont conçues comme une mesure d'ordre social/national d'endiguement des
flux d'entrée de migrant·es, et aussi comme les éléments d'un dispositif
de contrôle et de répression, comme sanction-punition, menace, moyen de
pression, pour faire filer droit les immigré·es. Dans ce principe
général, la situation d'exclusion place ces personnes dans un état
d'insécurité permanente, toujours dans le provisoire et le précaire,
dans une zone où les droits et conditions d'existence sont amoindris,
restreints, dans un espace social et juridique situé entre exclusion de
la citoyenneté et exclusion du territoire.
Ce qui peut se traduire de multiples manières, mais dont le dénominateur
commun est une promotion de l'inégalité. Moins de droits, moins de
salaires, des boulots plus durs, moins d'aides sociales, voire leur
retrait total, davantage de contrôle policier, une surveillance
spécifique et une répression ciblée selon une logique normative où est
réintroduite une hiérarchie sociale bien marquée, dans laquelle il faut
s'assurer que ces immigré·es n'oublieront jamais qu'ils «ne sont pas
chez eux» mais «chez nous», qu'ils resteront symboliquement et
réellement à la porte de la maison commune, hors du cercle des inclus,
et cela en devant accepter leur sort, pour éviter que l'épée de Damoclès
de l'expulsion du territoire ne s'abatte sur eux.
Ce qui est fait et se fera contre les migrant·es est une remise en cause
radicale de la majorité des acquis (conquis) sociaux. La dégradation de
leurs droits contamine toute la société et prépare la régression et la
détérioration des droits de tous et toutes.
Aussi, plus que jamais, il s'agit de résister collectivement et de se
mobiliser tou·tes ensemble contre les hiérarchies et les inégalités.
Kris, 14 novembre
Notes
1-Numéros de Courant Alternatif de 335 à 339
2- Cette formule xénophobe renvoie à l'Action française qui, dans les
années 1930, désigne ainsi les nouveaux Français naturalisés par la loi
de 1927, en particulier ceux d'origine juive.
3 - En 1997, Retailleau disait des immigré.es africains que «ce sont des
gens qui n'ont pas la même culture que nous, ce sont des gens qui
viennent, non pas pour être français, mais bien souvent pour profiter
des droits sociaux». Partisan de l'assimilation, il est persuadé qu'«une
partie de l'immigration refuse d'entrer dans le récit national». Plus
récemment, il a lié «immigration massive» et homicides. Il est, de plus,
persuadé de la trop grande attractivité de la France en matière d'asile,
d'accès aux soins, de regroupement familial et de naturalisation.
4- Le suspect du meurtre de cette étudiante, en septembre dernier, un
Marocain déjà condamné pour viol, avait été libéré d'un centre de
rétention faute de perspective d'éloignement vers son pays.
5- L'AME permet la prise en charge des personnes en situation
irrégulière résidant en France depuis plus de trois mois, dont les
ressources sont faibles. En 2024, l'enveloppe de l'AME représentait
environ 0,5 % des dépenses de santé prévues par le budget de la «Sécu».
A la fin de 2023, on comptait seulement 466 000 bénéficiaires de ce
dispositif.
6- Depuis 10 ans, 29 442 personnes officiellement se sont noyées dans la
Méditerranée.
Depuis janvier 2024, sont recensés officiellement au moins cinquante-six
morts dans la traversée en canot de la France vers la Grande-Bretagne.
Frontex vient de bénéficier d'un renforcement de ses effectifs aux
frontières de plus de 10 000 agents. Cette agence européenne de
garde-côtes et garde-frontières célèbre 20 ans de violations des droits
en toute impunité. Elle «protège» les frontières européennes selon un
régime répressif, ultra-sécuritaire, au mépris de la vie et de la
sécurité des personnes qui tentent de les franchir (plus de 60 620
personnes depuis 1993).
https://oclibertaire.lautre.net/spip.php?article4320
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