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(fr) Alternative Libertaire #352 (UCL) - Entretien Fabien Canavy (MDES): «l'État français applique la doctrine du chaos organisé»

Date Wed, 2 Oct 2024 19:15:52 +0100


Fabien Canavy est le secrétaire général du Mouvement pour la décolonisation et l'émancipation sociale (MDES) depuis 2019. Actuellement retraité de la Direction départementale de l'équipement où il était technicien du développement durable, il a été conseiller régional à deux reprises et élu dix-sept ans à la Région et au Département. ---- UCL: Peux-tu présenter le MDES? Fabien Canavy: Le MDES a été créé il y a 33 ans en novembre 1991. Contrairement aux mouvements qui nous ont précédés, nous pensons qu'il faut une période transitoire où la France mettrait en place les éléments qui permettent au territoire de s'assurer une souveraineté viable un peu comme en Kanaky, une souveraineté qui se fasse de façon organisée. Des choses ont ainsi évolué comme l'ouverture en 2013 de l'université de Guyane, certains jeunes guyanais se forment dans plein de domaines. Notre revendication d'un statut transitoire est apparue avant le mouvement des réparations des années 2000, mais il s'inscrit dans son esprit: il faut poser les bases d'une souveraineté viable, notamment du point de vue de la formation, pour la santé, l'éducation. On dit souvent, «si tu es malade va en France ou aux Antilles plutôt qu'en Guyane car tu en sors en moins bon état que quand tu es entré». L'Éducation nationale en Guyane c'est une machine à créer de l'échec, avec beaucoup de primo-arrivants et de non-francophones. Les remèdes sont des pansements sur des jambes de bois.

Le MDES a fait le choix d'aller aux élections. Nous sommes organisés en sections sur tout le territoire. Les militant-es y vendent le journal, organisent des déambulation, la formation, s'occupent du recrutement. Depuis juin 2022, Jean-Victor Castor est élu député, ainsi que deux femmes, au sein de la CDG dans le cadre d'une alliance avec d'autres partis: Samantha Syriaque et Karen Cresson, l'une déléguée au handicap, l'autre à la formation, et des élus municipaux dans plusieurs villes. Jean-Victor Castor a été réélu largement lors des législatives de juin-juillet.

Notre mot d'ordre c'est de dire à nos militant-es de participer à la vie associative et syndicale du pays. Nous avons des structures très proches de nous et sommes membres fondateurs de structures comme Konnèt to Péyi qui regroupe des jeunes pour faire découvrir la Guyane. Nous participons à l'École des savoirs populaires et d'apprentissage des langues. Nous sommes à l'origine de l'association foncière La terre de nos anciens qui a occupé une parcelle de 300 hectares appartenant à l'État et a installé des personnes dans la commune de Montsinery: ils ont découpé en lots de 2 hectares en moyenne, ont installé des personnes et ont obtenu régularisation, 9% des membres sont devenus propriétaires de leur foncier.

On a créé l'Association recherche culturelle guyanaise (ARCG) et avons un lot de 2 hectares sur lequel on souhaite développer un projet futur. Par-delà la vie politique, nous demandons aux militant-es de s'impliquer notamment dans le forum social permanent, organisation internationale d'Amérique latine. Tout ce qui relève du social est posé dans les ateliers de ces forums où les militant-es viennent exposer pour leur pays leur réalité, permettant de découvrir les situations diverses des peuples d'Amérique du Sud.

Notre bureau est organisé par pôles: le pôle International entretient des relations avec les autres pays. Nous sommes membre du groupe associatif de Bakou et participons aux conférences latino-américaines: nous marchons sur deux pieds, le local et l'international. Au plan local, nous faisons partie du collectif Free Palestine qui réclame le cessez-le-feu à Gaza (Voir la photo de l'article La Guyane sous tensions). Nous avons des relations permanentes avec d'autres mouvements: Kanaks, Polynésie, Martinique, Guadeloupe.

Que dire de la situation actuelle en Guyane? Je pense que l'État français applique une doctrine du chaos organisé afin de nous maintenir sous dépendance: plus ça ira mal, plus la population demandera de la sécurité, des forces du «désordre» puisqu'on est un des territoires les plus militarisés et pour autant il n'y a pas moins de trafic d'armes, de drogues, d'or, d'êtres humains. Quand on voit tout ça on ne peut s'empêcher de se demander si tout cela n'est pas organisé et voulu, car un tel désordre fait que des gens viennent à demander plus d'État. Ce qui vient en balance avec les ressources du territoire, car si les choses étaient organisées en faveur d'un développement pour les gens qui y vivent, le regard changerait dans la population: aujourd'hui, plus de 50% de la population vit sous le seuil de pauvreté, les gens sont dans la survie et la pensée politique n'est pas prioritaire.

Difficile de se projeter au-delà de la raison du ventre et de penser le devenir ensemble pour le territoire. Les objectifs géostratégiques de la France et de l'Europe priment au détriment des populations: traitements réservés aux réfugiés syriens, aux sans-papiers, à l'école et la santé et équipement public, territoire enclavé où il est plus facile d'aller à Paris ou Fort-de-France qu'à Maripasoula (deux jours de pirogue) au motif de protéger l'environnement: d'octobre à novembre, la seule compagnie aérienne qui faisait la desserte du territoire était en faillite et est restée un mois sans liaison aérienne pour des villes comme Saul au sud. Cet enclavement du territoire est une double peine. Le chaos organisé est le marqueur fort de la présence coloniale en Guyane.

Entre la fin de la période coloniale (dans les années 1950 pour la Kanaky) et aujourd'hui, dans quel héritage et quelle histoire s'inscrit le MDES? Il y a eu des mouvements qui ont réclamé l'autonomie et l'indépendance par le passé, notamment le Parti socialiste guyanais avec son leader Justin Catayé issu de la SFIO, ancien combattant proche d'André Malraux et donc dans des liens particuliers avec les instances françaises, et on voit qu'à chaque fois la France nous a bernés: dès 1946, au moment de la départementalisation, il y a déjà des mouvements qui réclament l'autonomie. La départementalisation est une embrouille de la France pour contourner la requête de l'ONU qui demandait la décolonisation aux grandes puissances (départementalisation qui eut le soutien des grands leaders comme Césaire, Senghor, Monerville).

Avec derrière l'assimilation qui est une ineptie compte tenu de notre réalité géographique, culturelle et de nos histoires respectives. Dans les années 1970 naissent des mouvements très forts portés par des étudiants notamment le Mouvement guyanais pour la décolonisation créé en 1974, ce ne sont alors plus des mouvements de notables comme ceux d'avant, mais portés par des jeunes, très bien placés au sein de l'Union des travailleurs guyanais (UTG, plus grand syndicat de Guyane, proche de la CGT) et qui mènent le combat pour l'indépendance. C'était des mouvements radicaux et suivis par la population. Ils s'inscrivent dans une période marquée par d'importants mouvements de grève, période chaude où l'État français n'hésite pas à tuer et mettre en prison: par exemple en 1974 avec le «complot de Noël», ou suite à des heurts, des militants sont arrêtés et mis en prison à la Santé en France au motif qu'ils auraient eu l'intention de poser une bombe dans une église.

En 1996 à nouveau, suite à un mouvement de lycéens qui manifestent car les conditions ne sont pas bonnes dans les lycées, les parents d'élèves et les mouvements syndicaux se joignent à eux, il y a trois nuits d'émeutes, François Bayrou, alors ministre de l'Éducation nationale, négocie et annonce la création du rectorat de Guyane. S'en suivront des vagues de répression contre des leaders lycéens, provoquant de nouvelles émeutes début 1997 et une nouvelle vague de répression, dont moi et Jean-Victor Castor les leaders du Parti national populaire guyanais (PNPG, un autre mouvement indépendantiste). On nous envoie en Martinique et Guadeloupe (moi une semaine mais Jean-Victor a fait trois mois de prison en Martinique), accusés d'avoir voulu bruler la maison du Procureur, accusation tombée à l'eau. Le mouvement ne s'est pas dégonflé. Nous étions aussi activistes au sein de l'UTG.

En 2000, rebelote: actions, blocages, émeutes; il y aura une tentative d'assassinat sur Jean-Victor. En Guyane, les choses avancent par soubresauts. Le dernier c'est donc 2017, grand mouvement qui part d'un sentiment de ras-le-bol. Un jeune se fait tuer dans un quartier populaire de Cayenne pour sa chaîne. Cela crée alors le mouvement des 500 frères, une quarantaine de personnes cagoulées défile jusqu'à la préfecture, et toute une série d'actions se montent en février-mars: blocage des consulats, les 500 frères qui bloquent Ségolène Royal venue comme ministre de l'Environnement, les agriculteurs qui bloquent la direction de l'agriculture, les orpailleurs, les transporteurs qui bloquent l'accès au port durant trois semaines; À Kourou aussi, blocage du centre spatial empêchant la fusée de partir (le CSG essaie de mettre en place un pont aérien en hélicoptère, ils rentrent dans le centre spatial, les bloqueurs allument des feux de fumée). Blocage des rivières par les bateaux, etc. Les négociations ne marchent pas. Un accord est signé avec des engagements financiers qui ne sont pas respectés.

Aujourd'hui nous sommes dans les prémisses d'une nouvelle mobilisation.Les filières se sont organisées en inter-filières. La pêche, le bois l'agriculture et les mines disent qu'ils en ont assez des normes européennes: contrat normés contre subvention mais n'ayant aucun impact de développement en Guyane. On va de soubresauts en soubresauts, lequel prendra date dans les années à venir on sait pas, mais pour nous le MDES, ce n'est pas forcément une façon d'avancer et de progresser. Car souvent ces explosions sont minées par la situation, le mouvement est spontané et n'a pas une organisation de fond et ce sont les raisons de sa faiblesse. Chacun défilait pour ses propres raisons, certains pour la sécurité, d'autres pour les agriculteurs, les autochtones pour leurs revendications à eux, et même si il y a eu des tentatives d'organisation, il n'y'a pas une trame de fond qui permette de fédérer tout le monde, ni en mesure de constituer une force capable de faire plier le gouvernement français.

Qu'est-ce qui a changé depuis 2017 et les années Covid avec les inégalités sanitaires et répressives? La répression a été terrible. Nous avons un camarade qui va passer en jugement, Serge Brumet. La réponse de l'État à la protestation c'est la judiciarisation. Par-delà la méfiance vis-à-vis du vaccin il y a eu un mépris vis-à-vis des populations avec des propos insultants «qu'est-ce que vous attendez bande de couillons pour vous faire vacciner?» était grosso-modo le message écrit sur les 4 par 3 distribués à la population. Les statistiques étaient faites pour dire que le Covid augmente, sauf qu'après-coup aucune statistique ne fut produite pour dire quel est le taux de population qui s'est fait vacciner et le taux de mortalité en Guyane. Nous sommes d'une culture où beaucoup de gens se soignent par les plantes traditionnellement et je ne parle même pas des autochtones ou des bushinengués complètement isolés et sans accès aux vaccins. Ils se sont débrouillés par leurs propres moyens et l'État ne veut pas le reconnaître. Donc il y a eu une méfiance car culturellement les gens se soignent eux-mêmes. Il y a eu des morts mais ce ne fut pas l'hécatombe annoncée. Ca décrédibilise la parole officielle. Le Covid est entré en 2020 en Guyane avec quatre personnes parties à des rassemblements évangéliques en métropole.

Au MDES, on a demandé à fermer l'aéroport car c'est par là que le Covid risquait de rentrer, et ils ont préféré des mesures de contrôle sécuritaires à l'aéroport (d'ailleurs toujours en place en se justifiant cette fois par la lutte contre le trafic de drogue) et il y a eu un mauvais traitement des Guyanais partant en France, traités de pestiférés, mis de côté. Fermeture de la frontière de St Georges sur l'Oyapock, tous les gens venant du Brésil étaient considérés comme des pestiférés.

Concernant la drogue: quand Gabriel Attal, Gérald Darmanin et le ministre des Outre-mer Sébastien Lecornu sont venus en 2022 pour les Assises de la sécurité, ils ont tenu une réunion sur comment on empêche la drogue de rentrer en France (comprendre le France métropolitaine). En priorisant le choix d'endiguer les «mules» à l'aéroport et de contenir le problème à la Guyane, ça veut dire que la drogue peut continuer à se développer ici et c'est ce qui se passe: comme les gangs ont du mal à faire entrer la drogue en métropole en raison de l'augmentation des contrôles à l'aéroport (les estimation sont de vingt mules par vols soit vingt kilos, quand ils attrapent une mule ça demande tellement de policiers et douaniers que les autres peuvent passer) du coup les gangs essaient de d'écouler leurs stocks en Guyane, et dès lors ils se trucident pour le contrôle des points de ventes, c'est pour ça que tu as un homicide par semaine en Guyane. On a plus d'homicides à Guyane qu'à Marseille alors qu'on est que 300 000 habitant-es contre une agglomération de millions d'habitant-es. Il y a une frustration de la population sur la question de l'insécurité et du deux poids deux mesures: pour la venue de Macron en Guyane, ils font place nette, avec accentuation des contrôles, mais Macron reparti ce sera à nouveau open bar.

Comment réagissez-vous à la volonté d'appliquer à la Guyane la remise en cause du droit du sol? Les Darmanin et consort jouent sur l'amnésie. La lecture que nous faisons de Mayotte c'est qu'elle appartient aux Comores. Il est évident que la situation du pays crée un appel d'air vers Mayotte, et c'est la même chose ici avec la Guyane et la Guadeloupe Martinique. La première chose c'est de se demander comment on a droit de séparer des gens d'une famille d'un point de vue éthique. Mais nous avons eu écho de ressources en pétrole récemment trouvé autour des Comores, de même que ces dernières années au Guyana, ancien parent pauvre de la région. Ils ont maintenant une croissance de 12% par mois: ce pays, qu'on prenait de haut, va prendre du poids, aux Comores c'est ce qui pourrait arriver.

Comment le MDES pose-t-il la question nationale et l'unité du peuple guyanais? Nous sommes un parti qui a tissé des liens avec les mouvements autochtones et leurs revendications, nous étions présents à l'enterrement d'Alexis Tchuka, leadeur amérindien qui a beaucoup oeuvré à notre rapprochement, pour nous expliquer et mieux comprendre les revendications amérindiennes. La revendication autochtone pour nous elle est légitime, nous la posons. En Guyane, il y a trois communautés de base: les autochtones, les bushinengués et les créoles. À ces communautés sont venus s'adjoindre les Européens, les Brésiliens, les Asiatiques, et nous accueillons toutes les personnes qui décident de faire leur avenir en Guyane: nous considérons le pays suffisamment grand pour accueillir tout le monde, dans un destin commun. On a tenté de diviser et séparer les autochtones des autres communautés: avec la départementalisation, on a tenté de mettre en avant une élite créole politique, qui ne favorisait pas les autochtones. Par exemple, le discours des autorités auprès des Hmong[1], qui avaient fui le communisme, a été de présenter les gens du MDES comme des communistes et donc leurs ennemis, mais ce discours ils en reviennent. L'instrumentalisation est permanente.

Comment peut-on vous aider depuis la France métropolitaine? On lit la presse des organisations françaises, nous sommes issus du mouvement ouvrier et nous gardons le lien, ainsi il y à proximité avec les sujets politiques développés par Alternative libertaire. Le développement du suprématisme dans les colonies est inquiétant, en Martinique par exemple, avec des conflits pour la terre avec des Blancs qui privatisent des plages aux locaux. La monté de la parole raciste en Guyane aussi et ça peut conduire à des explosions. Il faut relayer ce qu'il se passe.

Il y a par exemple de nombreuses affaires de violences policières en Guyane. Un policier blanc a dit à des manifestants: «nous étions dans le même bateau mais pas au même étage» faisant référence à la traite. Les personnes ont porté plainte pour apologie de crime contre l'humanité, on les a accompagnées, et mis le sujet sur les réseaux sociaux. Il leur a été répondu qu'une enquête était menée mais plus de nouvelles depuis, on attend. L'agent était par ailleurs réputé pour être habitué aux violences dans les quartiers populaires.

Il faut être en rupture avec le cliché «les Antilles c'est les cocotiers, la mer bleue, la Guyane c'est la mer verte et la forêt, les animaux exotiques». Un territoire avec autant de ressources mais autant de pauvreté est une anomalie. Le Covid a mis en lumière un certain nombre de réalités que beaucoup ignoraient. Comme celle du droit des femmes qui est appréhendé dans ces spécificités locales: on a une variété de culture, la place de la femme dans la société autochtone n'est pas la même que chez les bushinengués, qui n'est pas pareille que chez les créoles et que chez les Hmong, je dirais que c'est un sujet pas encore assez approfondi, mais les femmes sont au combat aussi.

Propos recueilli par Nicolas Pasadena (UCL Montreuil)

Notes:
[1]Communauté laotienne réfugiée ayant fui le Vietnam entre 1974 et 1977 et que les autorités françaises a installée en Guyane.

https://www.unioncommunistelibertaire.org/?Entretien-Fabien-Canavy-MDES-l-Etat-francais-applique-la-doctrine-du-chaos
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