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(fr) Organisation Communiste Libertarie (OCL) - La fin de l'apartheid en Afrique du Sud: entre boycott et lutte de classe

Date Thu, 30 Oct 2025 17:29:06 +0000


Un appel à boycotter l'État d'Israël pour qu'il cesse de massacrer la population palestinienne tant à Gaza qu'en Cisjordanie a été lancé en 2005 par une campagne internationale sous le sigle BDS (Boycott, désinvestissement et sanctions). Il s'agit de faire pression sur les instances internationales et les gouvernants afin qu'elles et ils mettent fin à leurs relations avec ce gouvernement colonialiste d'extrême droite. Un précédent boycott, celui de l'Afrique du Sud, est souvent présenté comme le moyen qui a permis d'enterrer le régime d'apartheid en vigueur dans ce pays de 1948 à 1991. C'est pourtant la guerre de classe menée par sa population noire prolétarisée qui a très largement contribué à ce résultat - comme on va le rappeler ici. ---- Après les accords de Yalta [1] et le partage du monde en zones d'influence par les vainqueurs américain et soviétique, s'instaure une «guerre froide». Pour les États-Unis et leurs alliés occidentaux, l'Afrique du Sud doit rester une place forte: au-delà de ses richesses intérieures (diamant, or...), cette pointe de l'Afrique est d'un point de vue militaire hautement stratégique. Elle est un poste d'observation de premier plan du trafic maritime, économique et militaire mondial. Face au «business» et aux raisons d'État, le sort des Noirs d'Afrique du Sud importe peu. C'est sur l'oppression et l'exploitation du prolétariat sud-africain, soumis au régime d'apartheid, qu'une fructueuse coopération internationale prend forme.

Sur le continent africain souffle alors un vent de révoltes, de révolutions indépendantistes et nationalistes; s'affrontent des factions payées et armées soit par Washington et ses alliés, soit par Moscou et ses satellites du «bloc de l'Est». A l'exemple de l'Angola, colonie portugaise, devenue un abcès de fixation entre les deux grandes puissances qui soutiennent pour l'une les mercenaires et soldats sud-africains au nom de la liberté et de l'anticommunisme, pour l'autre l'envoi de Cubains porteurs de la révolution et du «socialisme». Derrière ces rivalités idéologiques, chacun des impérialismes convoite surtout les richesses contenues dans le sous-sol et se réjouit par avance des profits à en tirer. C'est dans ces pays - Angola, Mozambique, etc. - que des milliers de Sud-Africains iront s'entraîner pour la lutte armée. L'ANC [2], qui menait en Afrique du Sud une lutte armée contre l'apartheid (la ségrégation raciale), sera classée par le gouvernement américain parmi les organisations terroristes; et Nelson Mandela lui-même, arrêté par la police sud-africaine sur information de la CIA en 1962, ne sera retiré de la liste des terroristes qu'en 2008.

La politique d'apartheid

Après la colonisation et la pacification européennes, en 1948, c'est le Parti national qui arrive au pouvoir en Afrique du Sud. Adepte des lois raciales nazies, ce gouvernement blanc et suprémaciste prône la ségrégation raciale et la répression violente de la population noire. Mariages et relations sexuelles sont interdits entre Blancs et Noirs ou «gens de couleur». De nombreux lieux et quartiers blancs sont interdits à la population noire, avec obligation d'avoir un laissez-passer pour sortir des ghettos - townships - où elle est parquée. Ces restrictions suscitent très rapidement des résistances dans la population noire, notamment à travers ses associations (liées à l'Église) ou ses organisations politiques, telles l'ANC ou l'ASPC [3]. Ces deux organisations s'allieront dans la clandestinité.

Le 21 mars 1960, lors d'une manifestation de protestation pacifique dans le township de Sharpeville (40 000 habitants noirs), la police tire: 69 morts et 150 blessés. Les organisations et partis sont interdits. La lutte armée entre alors dans la stratégie de résistance des Noirs sud-africains: Mandela fonde la branche armée de l'ANC, entrée dans la clandestinité. Le massacre de Sharpeville, qui provoque une onde de choc sur le plan international, conduit peu après l'assemblée générale des Nations unies (ONU) à décréter un embargo sur les ventes d'armes à l'Afrique du Sud. Cette mesure non contraignante sera bien sur sans effet. La France, premier fournisseur d'armes de l'Afrique du Sud, contournera sans vergogne la décision onusienne via ses différents réseaux ou sociétés écrans. Elle aidera même Pretoria à développer un programme nucléaire. Dans cette entente cordiale, la ville de Nice sera jumelée avec Le Cap en 1974.

Une bourgeoisie divisée

Durant ces années, de nombreuses manifestations de solidarité ont lieu dans le monde contre le gouvernement de Pretoria. Les demandes de boycott ont pour symbole l'orange Outspan, représentée sur les affiches par la tête coupée d'un Sud-Africain noir coincée dans un presse-citron par une main blanche [4]. Des appels aux instances gouvernementales et internationales se font entendre, mais il faudra attendre 1989 pour que l'ONU prenne les premières sanctions contre l'Afrique du Sud. Elle le fait parce que les blocages économiques réalisés pour dénoncer l'apartheid nuisent au business. Et puis la bourgeoisie d'affaires libérale redoute l'émergence d'un puissant mouvement populaire révolutionnaire qui menacerait non seulement la bourgeoisie blanche de l'Afrique du Sud, mais aussi et surtout les intérêts des capitalistes qui ont investi dans le pays. Ces sanctions internationales conduiront le gouvernement sud-africain à modifier sa politique intérieure.

La crise économique qui touche ce pays comme d'autres, durant les années 1970/1980, joue également. La bourgeoisie est divisée sur les choix politiques à venir: continuer de soutenir un régime raciste et sa répression brutale ou faire pression contre lui à une époque où souffle un vent de décolonisation et où le nationalisme afrikaner de 1948 s'est étiolé et a perdu de son impact, tandis que les émeutes de Soweto ont réveillé la puissance d'une conscience collective et de désir pour le peuple noir. Les nécessités de l'heure obligent bientôt le gouvernement de Pretoria à prendre contact avec les dirigeants de l'ANC, car les banques lui refusent de nouveaux crédits ou ferment leurs établissements en Afrique du Sud. Mais les affaires continuent. Ainsi, de nombreuses succursales sud-africaines voient le jour, et la bourgeoisie blanche mais aussi la petite bourgeoisie noire qui émerge prospèrent. C'est durant cette période d'embargo, de 1985 à 1989, que ce pays augmentera ses exportations de 26 %.

Soweto... et les luttes sociales oubliées

L'impact qu'ont eu le boycott de l'Afrique du Sud et l'embargo économique décidé par les instances internationales à l'encontre de son régime, pour l'obliger à évoluer, est souvent rappelé. Mais les fortes luttes sociales qui se menaient dans ce pays ont également pesé: les grèves d'un puissant mouvement ouvrier sont entrées en résonance avec les protestations et actions des étudiant-es et lycéen-nes...

C'est pourquoi il faut raconter cette histoire sociale et le rôle qu'elle a joué dans la fin de l'apartheid:

Si au sortir de la Seconde Guerre mondiale l'Afrique du Sud avait trouvé un essor économique, elle a connu la récession vers les années 1970/1980. Les salaires déjà bas ont stagné au regard de l'inflation, tandis que le chômage augmentait dans la population noire - ce qui a conduit le prolétariat noir à intensifier ses luttes. En particulier quand le régime a voulu imposer l'afrikaans, une langue dérivée du néerlandais et que parlent les Blancs (12 % de la population), comme langue d'enseignement dans les écoles publiques noires, alors qu'une dizaine de langues ou dialectes étaient pratiqués dans le pays et que l'anglais faisait consensus. Le gouvernement a aussi voulu imposer la pratique de l'afrikaans comme critère pour avoir la nationalité sud-africaine. Dès les premières manifestations de refus, la répression contre les étudiant-es et lycéen-nes a été brutale. Mais la contestation a gagné en ampleur. Les émeutes de juin 1976 à Soweto, dans la banlieue de Johannesburg, soutenues par le Mouvement de la conscience noire, ont marqué un tournant dans la lutte contre l'apartheid et pour l'émancipation des Noirs. Les pillages et les incendies se sont propagés jusqu'en septembre dans d'autres townships, et même dans certaines quartiers des villes blanches - avec leurs lots de manifestants tués: 33 morts à Port Elisabeth, 29 au Cap... Cette révolte a officiellement couté la vie à 575 personnes, dont 570 Noirs (mais il y aurait en fait eu plus d'un millier de morts). Les leaders du Mouvement de la conscience noire ont été emprisonnés - et l'un d'eux, Steve Biko, est décédé sous les coups de la police durant sa détention, ce qui a entraîné de nouvelles révoltes. En juillet 1976, le décret concernant l'usage obligatoire de l'afrikaans a été retiré.

Un affrontement de classe

C'est le retentissement de ces émeutes et du massacre des Sud-Africains qui a conduit l'ONU à décréter, en 1977, un embargo sur les ventes d'armes à l'Afrique du Sud. Cet embargo a été aisément détourné par les marchands de canons, dont la France, mais l'instabilité sociale et politique a déstabilisé la monnaie locale, le Rand, et entamé la confiance des investisseurs internationaux durant les années 1980. Les émeutes de Soweto ont réveillé une conscience collective et le désir pour le peuple noir non seulement de se débarrasser du système d'apartheid, mais aussi d'en finir avec la structure même du système politico-économique. Pour une partie de la bourgeoisie libérale, ce capitalisme archaïque sud-africain ne répondait plus aux besoins de l'économie qui employait la main-d'oeuvre noire dans ses multiples secteurs d'activité, alors que la population blanche ne parvenait plus à assurer par elle-même l'encadrement de cette force de travail nécessaire.

En effet, pendant que quelque 200 000 Sud-Africains blancs combattaient en Europe aux côtés des Britanniques contre les nazis, la production manufacturière sud-africaine, surtout militaire, avait du intégrer et former cette main-d'oeuvre rurale et noire, et celle-ci était devenue majoritaire dans nombre de lieux manufacturiers ou autres, où des Noir-es avaient aussi accédé à des postes de responsabilité. Pour le patronat et les investisseurs, il y avait là un futur potentiel de consommateurs et consommatrices.

La bourgeoisie, le grand patronat et les investisseurs étrangers ont ainsi accentué leurs pressions sur le gouvernement sud-africain, et en 1983 une nouvelle Constitution a vu le jour. La réforme prévoyait trois Chambres représentatives, mais aucune ne représentait les Noir-es. En réaction, associations, organisations et syndicats devenus «multiraciaux» ont appelé à boycotter les législatives, et organisé d'énormes mobilisations. En 1984, quand le gouvernement de P. Botha a inauguré le nouveau Parlement, les manifestations et grèves ont bloqué le centre industriel du pays. Le mouvement ouvrier était à l'offensive. En 1985, les syndicats se sont regroupés pour former la COSATU [5] qui a représenté une force de pression économique et politique. De multiples grèves - dans les ports, les mines, l'alimentation, l'automobile... ont à la fois permis de faire passer des revendications salariales et renforcé l'entité du peuple noir. La plupart des townships étant en insurrection, le gouvernement a décrété l'état d'urgence dans 36 districts. Mais malgré la répression féroce, le mouvement s'est élargi et a créé des comités qui contrôlaient les activités économiques et autogéraient la vie sociale, dans les townships et même dans les bantoustans. Des comités d'autodéfense contre la police et ses chiens sont aussi apparus, les flics et les mouchards ont été traqués. Les funérailles de manifestant-es tués par les forces de l'ordre sont devenues des meetings regroupant des dizaines de milliers de personnes. Incapable d'écraser ce mouvement, le gouvernement a du lever l'état d'urgence, et les lois d'apartheid qui restreignaient les déplacements des Noirs ont été abolies. La plus grande grève générale du pays a eu lieu le 1er mai 1986. Une révolution ouvrière était en marche. Cette situation a inquiété les investisseurs internationaux, et les puissances impérialistes et la finance se sont empressées d'imposer de nouvelles sanctions économiques et un embargo. Il ne s'agissait pas, là encore, de se solidariser avec les prolétaires, mais d'amener les ultras du régime d'apartheid à négocier avec les représentants de l'ANC et son leader Mandela, alors en prison.

En 1989, des mobilisations appelées par les associations et organisations de lutte contre l'apartheid ont encore eu lieu dans tout le pays; les manifestants ont occupé des bâtiments officiels, et les organisations jusque-là clandestines se sont autolégalisées. Le mouvement était d'une telle ampleur que le gouvernement n'a pu le réprimer. Le Président P. Botha a du céder la place à De Klerk, qui a libéré les prisonniers politiques, dont Mandela, en février 1990. Et après que, en avril 1993, le très populaire dirigeant de l'ASPC Chris Hani a été assassiné, la grève générale a été décrétée et la population est de nouveau descendue dans la rue.

Ainsi, bien plus que les sanctions ou le boycott international, ce sont les grèves des travailleurs et les révoltes de la population (payées très cher en vies humaines) qui ont mis à genoux la bourgeoisie et le capitalisme de ce pays.

Mais les dirigeants de l'ANC se sont alors employés à contrer cette agitation sociale révolutionnaire. Mandela, fort de son charisme et de son autorité, est apparu à la télévision pour... appeler au calme.

En mai 1994, il a été élu Président de l'Afrique du Sud.

Decaen, le 10/09/2025
P.-S.

Cet article était prévu pour Courant Alternatif n°354 de novembre 2025, nous le publions ici faute de place dans le mensuel papier.

Notes
[1] Après la défaite du IIIe Reich, Roosevelt, Churchill et Staline ont adopté une stratégie commune et établi un nouvel ordre mondial à Yalta, en Crimée, en février 1945.
[2] le Congrès national africain a été fondée en 1912, refondée en 1923 et interdite en 1960.
[3] Parti communiste sud-africain soutenu par l'URSS.
[4] Contre Israël, le boycott des années 1980 a porté sur les pamplemousses Jaffa et les avocats Carmel.
[5] La Confédération des syndicats sud-africains fut, avec l'ANC et l'ASPC, un des outils de la lutte contre l'apartheid.

https://oclibertaire.lautre.net/spip.php?article4548
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