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(fr) Monde Libertaire - Zohra, es-tu là?

Date Mon, 21 Jul 2025 17:05:44 +0100


L'ouvrage s'ouvre sur une scène d'une grande violence. Le père, un ouvrier kabyle, employé par la Société métallurgique de Normandie, accompagné de son fils enfant, l'auteur, se voit rejeter par le boulanger qui publiquement éructe: «Ici, on ne vend pas le pain des Français aux bougnoules». Relent de guerre d'Algérie, de connerie, de racisme. La description de la scène par sa rigueur choquera plus d'un lecteur. Voilà qui relève du témoignage. Cette formule, Le pain des Français, s'affiche comme titre du récent ouvrage de Xavier Le Clerc publié chez Gallimard. ---- Xavier Le Clerc a changé son nom, il s'appelait Hamid Aït-Taleb, vous comprendrez pourquoi à la lecture. Il raconte la vie de sa famille émigrée quittant les montagnes de Kabylie pour vivre dans la banlieue de Caen en Normandie, choc de vies. Il rappelle les méthodes de recrutement des agents des sociétés françaises qui venaient chercher de la force de travail en Algérie et ces hommes émigrés en France n'étaient plus considérés que comme des «bougnoules» pour reprendre la formule du boulanger. Difficile de vivre en France pour ces adultes analphabètes. Avec le poids de la guerre d'Algérie, les regards, les gestes, les paroles, le mépris. Xavier Le Clerc comprend que l'école est sa bouée de sauvetage. «Et sur ma table d'écolier se jouait ma vie. Les lignes de mon cahier traçaient la frontière qui me séparait de mes parents analphabètes. Je savais qu'écrire ne consistait pas à produire de belles rimes niaises, mais à basculer dans un autre monde.»

Il fait appel à ces auteurs qui ont compris cette Kabylie, dont évidemment Albert Camus avec son reportage, Misère de la Kabylie, publié dans Alger Républicain en 1939, mais aussi son ami Louis Guilloux.

Un passé qui ne passe pas

Le pain des Français intègre trois approches. La vie de cette famille en France, la conquête et l'exploitation de l'Algérie, la rencontre avec le crâne d'une enfant de sept ans, tuée lors de répressions de l'armée française. Xavier Le Clerc comprend que dans les sous-sols du musée de l'Homme, à Paris, sont conservés des squelettes d'hommes et de femmes. Vous vous rappelez sans doute la Vénus hottentote, Xavier Le Clerc nous en évoque le martyr. La conquête de l'Algérie par Bugeaud fut une série de crimes, les textes, les témoignages le démontrent. Un passé qui ne passe pas! En 1871, éclate une grande révolte en Kabylie. Certains seront déportés en Nouvelle-Calédonie où ils retrouveront Louise Michel, une des rares à leur porter attention. On coupe des têtes et on expédie les crânes comme des trophées en France. On les offre comme des cornes de gazelle, des défenses d'éléphant, des peaux de fauves... La personne humaine n'était qu'un animal, un objet. Et le crâne numéroté de cette enfant de sept ans, que Xavier Le Clerc appelle Zohra, se retrouve au musée de l'Homme. Un dialogue s'instaure entre l'auteur et cette enfant. La conquête de l'Algérie est évoquée, les familles refugiées dans les grottes, enfumées et emmurées, la sauvagerie de la «pacification» comme ils disaient, l'absurdité de la colonisation. Rares sont ceux qui à cette époque, celle de la 3ème République, dénoncèrent ces faits. Songeons que certains collectionnaient les ossements humains et pas pour des musées. Songeons que les squelettes étaient exhumés des cimetières et broyés servaient à stabiliser les routes, voire de base pour la production d'engrais. L'administration réaffectait les terres, modifiait les noms des personnes qui perdaient ainsi leur identité. Les colons refuseront toute ouverture. Le projet Blum-Violette, refusé, le dialogue avec Ferhat Abbas, refusé. La violence s'installe et on connaît la suite. Xavier Le Clerc se confie auprès de cette enfant, sur sa vie, ses choix et les difficultés en découlant. Un texte aussi empreint d'une belle poésie. A Zohra, il écrit: «Qui se souvient de toi, de notre hameau à l'horizon d'or fondu, traversé par mille oiseaux noirs? Et tu emportes à jamais, dans ton vertige, la beauté d'un monde qui à la pointe du jour devait disparaître.»

* Xavier Le Clerc
Le pain des Français
Ed. Gallimard, 2025

https://monde-libertaire.fr/?articlen=8479
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