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(fr) CNT-AIT - Nouvel assaut sur Cronstadt
Date
Thu, 3 Jul 2025 17:49:18 +0100
La sortie, chez Fayard (oct. 2005) d'un épais ouvrage («Cronstadt»,
Jean-Jacques Marie, environ 480 pages) sur l'histoire de cette
forteresse et de sa révolte contre le pouvoir bolchevik (1921) peut
sembler une bonne nouvelle. En effet, les ouvrages en français consacrés
spécifiquement à ce moment crucial de l'Histoire humaine sont peu
nombreux, entre autre pour ne mentionner que ceux qui sont disponibles
une petite brochure constituée d'extraits divers [1], un livre d'Ida
Mett ou encore un petit texte d'Anton Ciliga [2]. ---- L'ouvrage est du
genre plutôt détaillé. Cependant, il n'apporte aucun fait nouveau par
rapport à ceux connus jusqu'à présent, bien que l'auteur ait bénéficié
de l'accès à une documentation inédite de première main: les archives
soviétiques (essentiellement des rapports de la Tcheka, l'ancêtre du
KGB, la sanguinaire police politique).
De plus, l'utilisation de ces archives manque de discernement, ou, pour
le moins, de commentaires (un peu comme si on essayait d'écrire un livre
sur Mai 68 en se basant, sans aucune critique, sur les rapports des
Renseignements généraux). Ainsi en est-il des pages où se succèdent les
rapports policiers faisant état d'un supposé antisémitisme des insurgés.
Les citations sont le plus souvent livrées à l'état brut. Le lecteur ne
saura pas quel crédit leur apporter, ni dans quelle mesure elles sont
représentatives. L'élaboration d'un «appareil critique» est pourtant le
minimum que l'on puisse attendre du travail d'un historien face à de
telles archives. L'auteur lui-même renforce cette sensation. Page 125 il
explique, sans aucune justification, que des ouvriers empêchent Zinoviev
de faire un discours, parce qu'il est ... juif (comment l'auteur peut-il
savoir qui, du «juif» ou du président du soviet de Petrograd, a été
sifflé? Mystère).
LE PRÉCÉDENT MAKHNOVISTE
Or, et ceci explique peut-être cela, il se trouve que l'auteur a
antérieurement publié un autre livre sur la même période: «La guerre
civile russe, 1917-1922» (mars 2005, éditions Autrement). Pour
l'essentiel, ce dernier n'est constitué que d'un collage de témoignages
des uns ou des autres (grossièrement parlant, des «rouges» et des
«blancs») sur les aspects les plus sordides de la guerre civile -ce qui
n'est pas très utile, mais pourquoi pas! Il y est, entre autre, question
de Makhno. Par exemple, à la page 102 de «La guerre civile», un
communiste nous déclare que «Les makhnovistes, n'ayant ni mécanicien ni
pilote, incendient les appareils. Puis commence une bacchanale de
pillage: les soldats makhnovistes dévastent les magasins, les entrepôts,
les riches appartements. Un groupe dans sa fureur met le feu à plusieurs
bâtiments. Le Grand Bazar est entièrement pillé. Le comité
révolutionnaire bolchevique essaie de convaincre les makhnovistes de
procéder à une réquisition ordonnée des biens et des vivres, un
makhnoviste lui répond: 'Nous sommes partisans du slogan: «De chacun
selon ses capacités à chacun selon ses besoins'«. Le lien entre les
exactions supposées et l'affirmation idéologique ne saute pas aux yeux.
Tout au contraire. Mais l'auteur se garde bien de relever la
contradiction patente dans le témoignage qu'il cite.
Il utilise les «témoignages» des blancs de la même manière. Page 149, il
cite l'un d'entre eux déclarant que Makhno «pillait, brulait et tuait«.
Sans commentaire. On croirait lire Marie-Antoinette à propos de la
Révolution française. L'auteur lui-même affirme, page 151, que «Makhno
n'aime ni la ville, juste bonne à ses yeux à être pillée, ni les
citadins, et encore moins les bourgeois qu'il rançonne«. Aucune
référence ne vient chapeauter cette affirmation sur le gout immodéré de
Makhno pour la campagne. Ces citations étant livrées tel quel le lecteur
est indirectement prié de les prendre pour argent comptant. Même si
c'est de la fausse monnaie.
La littérature anti-makhnoviste est une vieille tradition, qu'elle soit
rouge, blanche, ou le fait de littérateurs peu scrupuleux, comme Joseph
Kessel. Mais qu'un historien, en 2005, continue de charrier ces légendes
d'antisémitisme et de banditisme, alors que toutes les clarifications à
ce sujet sont depuis longtemps très largement accessibles [3], voila qui
laisse un gout amer à cette lecture. Mais, faut-il s'en étonner?
Présenté comme un «spécialiste de l'Union soviétique et du communisme»,
l'auteur, si l'on en croit sa bibliographie, est surtout un chantre du
trotskisme. [4]
RETOUR À CRONSTADT
Le livre sur Cronstadt, plus consistant, perd cet aspect «Nouveau
Détective». Si l'auteur reste dans l'ensemble assez factuel, la mise en
perspective avec son ouvrage précédent permet de prendre la mesure de
plusieurs remarques disséminées çà et là. Par exemple page 224 de
«Cronstadt», quand les insurgés dénoncent la vénalité des commissaires
du peuple, il ne peut s'agir pour l'auteur que de propagande monarchiste
et qui plus est, antisémite. Comme si les commissaires du peuple avaient
été des modèles d'honnêteté!
Ou encore page 256, on apprend incidemment qu'il y a une forte
proportion de rescapés makhnovistes parmi les marins de Cronstadt. Il
n'en sera quasiment plus question dans la suite. Mais les marins sont
constamment présentés comme des éléments «dépolitisés» rêvant d'accéder
à la petite propriété.
Encore un exemple: page 295 l'auteur affirme que «C'est donc bien le
principe même de la propriété d'Etat que les dirigeants de
l'insurrection rejettent«. Que les insurgés puissent simplement rejeter
l'Etat, qu'il soit tsariste, démocratique ou bolchevik, voilà qui ne
semble pas l'effleurer.
Au total, la révolte de Cronstadt est présentée, au mieux, comme une
révolte de paysans petits-bourgeois rêvant d'accéder à la propriété
(lire: désireux que leur famille puisse cultiver un lopin de terre pour
pouvoir se nourrir. Evidemment, si on considère le fait que vouloir
manger et pas crever de faim est petit-bourgeois...). Ce qui saute aux
yeux pour un lecteur averti, c'est le mépris envers les paysans (et plus
généralement envers les pauvres), accusés d'être naturellement du côté
de la bourgeoisie selon de profondes théories qui, appliquées à la
lettre, firent mourir de faim des millions de personnes. Ce parti pris
devient ubuesque avec des assertions comme «cette absence de toute
allusion à la situation internationale souligne l'origine paysanne des
marins qui ont rédigé et voté [une résolution]»: des origines paysannes
empêchent de comprendre la situation internationale. On aura tout lu!
(page 142).
Bref, banditisme et antisémitisme des insurgés, nature petite-bourgeoise
et contre-révolutionnaire de la paysannerie: le point de vue tchékiste
n'est pas perdu pour tout le monde. Mais cela valait-il la peine de
fouiller dans les archives pour nous resservir cet indigeste ragout?
QUE FAIT DONC LA CNT À CRONSTADT?
Les remarques ci-dessus prennent une résonance particulière dans les
dernières pages du livre, où il est soudain, et fort étrangement,
question de la CNT et de la Révolution espagnole. Celle-ci en effet
aurait «[replacé] Cronstadt sous la lumière de l'actualité» (une
remarque assez étrange puisque Cronstadt a toujours été d'»actualité»
dans les milieux anarchistes, surtout en France et en Espagne où
passèrent des anarchistes russes survivants [5]). L'auteur met le doigt
sur la collaboration de «chefs» de la CNT au gouvernement, ce qui pour
lui, en bon trotskiste, est la même chose que la collaboration des
anarchistes dans leur ensemble avec les staliniens: «Pour répondre aux
critiques, les dirigeants anarchistes accompagnent leur collaboration
gouvernementale avec le PC espagnol d'articles exaltant l'insurrection
antibolchevik de Cronstadt, dont ils se proclament les héritiers. Il est
plus aisé d'exalter Makhno et Cronstadt à Barcelone que d'y combattre la
politique de Staline. En décembre 1937, Trotski leur répond: «face à
Cronstadt et à Makhno nous avions défendu la révolution prolétarienne
contre la contre-révolution paysanne. Les anarchistes espagnols ont
défendu et défendent encore la contre-révolution bourgeoisecontre la
révolution prolétarienne»». Tout en s'interrogeant sur la pertinence
d'une telle remarque dans un livre qui ne parle, en dehors de ce
passage, que de Cronstadt et de la Russie, on voit que l'imprécision
côtoie le sordide: non seulement les anarchosyndicalistes de la CNT ont
fait en Espagne une véritable révolution, mais ils ont combattu les
armes à la main les staliniens de tout horizon présents en Espagne. Cet
ouvrage, qui prétend ne pas faire de politique, sorti chez un éditeur
grand public, est censé, grâce à l'utilisation des archives de la
Tcheka, jeter une «lumière nouvelle» sur les événements. En fait de
lumière, sous couvert de respectabilité universitaire, c'est celle du
lance-flammes de la calomnie policière!
D'HIER À AUJOURD'HUI
Les événements de Cronstadt seraient depuis longtemps soigneusement
tombés dans l'oubli, si deux ouvrages (précisement ceux d'Ida Mett et
d'Anton Ciliga mentionné plus haut) n'avaient pas été publiés dans les
années 30. Ouvrages qui obligèrent Trotski à se fendre d'un texte pour
tenter de balayer cette histoire d'un revers de main.
Le passage suivant du texte de Trotski, modèle de calomnie politique,
est passé à la postérité: «Les marins qui étaient restés dans le
Cronstadt 'en paix' jusqu'au commencement de 1921, sans trouver d'emploi
sur aucun des fronts de la guerre civile, étaient, en règle générale,
considérablement en dessous du niveau moyen de l'Armée rouge et
renfermaient un grand pourcentage d'éléments démoralisés, qui portaient
d'élégants pantalons bouffants et se coiffaient à la façon des
souteneurs» [6].
Si on ne se lasse pas de s'étonner du fait que des éléments démoralisés
aient pu combattre par la suite jusqu'à la mort (pour continuer à
pouvoir porter des pantalons bouffants?) et que malgré leur «niveau
moyen» inférieur ils aient bien tenu tête à une Armée rouge
numériquement supérieure et bien mieux armée, le parallèle entre ce
jugement porté par Trotski et les récentes analyses des organisations
trotskistes sur les émeutes en banlieues est assez frappant.
En effet, une version moderne de cette citation donnerait: «Les masses
qui sont restées dans les banlieues populaires de France jusqu'à
aujourd'hui, sans trouver d'emploi dans aucun secteur porteur de
l'économie, sont en règle générale considérablement en dessous du niveau
moyen de conscience politique des militants (au choix: de la LCR, de LO
ou du PT) et renferment un grand pourcentage de drogués qui portent
d'élégants joggings Lacoste et se coiffent de casquettes à la façon des
voyous«. Le talent littéraire en moins, c'est bien ce que nous ont
expliqué Arlette, Alain et leurs bandes respectives [7].
Rien de neuf sous le soleil du trotskisme!
[1] «1921, l'insurrection de Cronstadt la Rouge», éditions d'Alternative
Libertaire, quatrième édition, juin 2005.
[2] Ida Mett «La commune de Cronstadt, crépuscule sanglant des Soviets»,
1938, diverses rééditions par Spartacus; Ante Ciliga «L'insurrection de
Cronstadt et la destinée de la révolution russe», dans la revue La
Révolution Prolétarienne n°278, 10 septembre 1938, disponible aux
éditions Allia. D'autres ouvrages consacrés à Constadt en français sont
quant à eux désormais épuisés: «La tragédie de Cronstadt (1921)», Paul
Avrich, Point histoire Seuil, 1975 et «Kronstadt 1921, Prolétariat
contre bolchevisme», Alexandre Skirda, éditions de la Tête de Feuille,
1971. Enfin on peut par contre trouver des ouvrages qui portent sur la
Révolution russe en général et qui mentionnent les évènements de
Consdtat, comme «La Révolution Inconnue» de Voline, réédité par les
éditions Verticales, ou des ouvrages de Rudolf Rocker, Alexandre
Berkman, etc.
Sur le net, cet article est une bonne introduction aux évènement de
Cronstadt 1921:
https://le-cafe-anarchiste.info/quest-ce-que-la-rebellion-de-kronstadt
[3] Plusieurs ouvrages -à commencer par ceux de Makhno lui-même- font le
point sur ces questions, comme par exemple l'oeuvre de Voline (qui était
d'ailleurs Juif). Le tout est remarquablement synthétisé dans l'ouvrage
d'Alexandre Skirda «Nestor Makhno, le cosaque libertaire, 1888-1934»,
éditions de Paris. Etrangement, il ne cite d'ailleurs que le passage le
plus scabreux du livre de Voline par ailleurs remarquable, voir Ida Mett
«Souvenirs sur Nestor Makhno» éditions Allia
https://makhno.home.blog/2022/02/26/souvenirs-sur-nestor-makhno, et A.
Skirda, voir supra.
CF. aussi la rubrique «REFUTATION DE L'ANTISEMITISME DE MAKHNO» sur le
site «le retour du fantôme de Makhno» qi compile les textes à ce sujet:
https://makhno.home.blog/category/refutation-de-lantisemitisme-de-makhno/
[4] Jean-Jacques Marie est animateur du Centre d'Etudes et de Recherches
sur les Mouvements Trotskistes et Révolutionnaires Internationaux,
constitué à partir des archives de l'OCI, ancêtre de l'actuel Parti des
Travailleurs, voir Rouge du 31 octobre 2002.
[5] Cf. le texte: Les racines ukrainiennes de la révolution sociale
espagnole de 1936
https://cnt-ait.info/2022/07/10/racines-ukrainiennes-espagne-1936/
[6] Léon Trotski «Beaucoup de bruit autour de Cronstadt», dans le
Bulletin de l'opposition n°66-67, 1938, cité dans le recueil
d'Alternative Libertaire. Ce texte de Trotski lui valu une réponse
vigoureuse de l'anarchiste Emma Goldman - qui était en Union soviétique
au moment des évènements de Cronstadt: Trotsky proteste beaucoup trop
[Emma Goldman] https://cnt-ait.info/2023/05/05/trotsky-proteste-trop
[7] Voir à ce sujet l'article «Gauche et extrême gauche: Trop conscients
pour se révolter» du Combat Syndicaliste de Midi-Pyrénées n°93, décembre
2005/janvier 2006
https://cnt-ait.info/2006/01/08/gauche-et-extreme-gauche-trop-conscients-pour-se-revolter
https://cnt-ait.info/2025/07/03/nouvel-assaut-sur-cronstadt/
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