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(fr) Courant Alternative #351 (OCL) - «Je suis en fuite depuis 1980, mais je n'ai pas à faire cadeau d'un mea culpa»

Date Wed, 25 Jun 2025 21:18:49 +0100


Comme nombre d'acteurs des luttes sociales qui ont jalonné l'Italie des années 70, Leonardo Bertulazzi a connu la répression et l'exil. Il revient aujourd'hui sur son parcours à l'heure où, arrêté en Argentine, la justice de Meloni réclame son extradition. ---- Né en 1951, Leonardo Bertulazzi était jusqu'en 1980, année au cours de laquelle son évasion a commencé, un militant irrégulier de la colonne génoise des Brigades Rouges. Jugé et condamné par contumace pour l'enlèvement de Pietro Costa en 1977 et pour participation à une bande armée, il quitte l'Italie, traverse la Grèce et vit au Salvador jusqu'en 2002. Recherché à l'international, il entre en Argentine où il est arrêté. Le pouvoir argentin refuse l'extradition et il obtient l'asile politique. En 2013, la Cour de cassation italienne confirme la prescription de sa condamnation, mais le parquet de Gênes rouvre la procédure et annule la décision antérieure. Au cours de l'été 2024, le président argentin J. Milei annule l'octroi de l'asile par décision arbitraire. En Italie, le gouvernement Meloni saisit l'occasion et relance la procédure d'extradition. Son statut de réfugié politique suspendu, il est arrêté et assigné à résidence avec un bracelet électronique. Son sort dépend désormais du jugement de la Cour suprême de Buenos Aires où il vit actuellement.

Pour le contexte des lois d'exception en Italie, voir, dans le même numéro, l'article: D'hier à aujourd'hui, retour express sur les lois d'exceptions en Italie...

Tu arrives en Argentine en 2002...

C'est une année terriblement spéciale pour l'Argentine. Terrible parce que la faillite financière a provoqué un appauvrissement soudain d'une partie importante de la société et spéciale parce qu'elle a déclenché une riposte immédiate en termes d'auto-organisation et de lutte: ¡ que se le vayan todos! ( = qu'ils dégagent tous!) était le slogan. Bettina, ma femme, et moi, nous avons commencé à connaître les quartiers populaires et à fréquenter les assemblées de voisins pour l'organisation de soupes, de pharmacies populaires, et d'autres formes d'autogestion. Nous vivions à Salvador depuis de nombreuses années, où nous avions travaillé dans des contextes similaires. En novembre, Interpol m'a arrêté pour une demande d'extradition en Italie. Les organisations de piqueteros et les assemblées de quartier ont exprimé une grande solidarité avec moi et il y a eu une campagne en ma faveur.

Et ensuite?

Après sept mois de détention, le juge a décidé que l'extradition d'un condamné par contumace n'était pas admise et ils m'ont libéré. L'année suivante, avec la présidence de Kirchner (2007-2015), j'ai obtenu le statut de réfugié politique, car les lois spéciales, les mesures de sécurité, le pentitisme (loi sur les «repentis»), la torture, les procès collectifs, les peines exorbitantes, les prisons spéciales, l'article 41bis - qui permet un régime carcéral strict - et les condamnations par contumace ne garantissaient pas un fonctionnement fiable de la justice.

Qu'avez-vous fait en Argentine durant ces 23 années?

J'ai travaillé en tant que graphiste et traducteur jusqu'en 2015, quand j'ai commencé à fréquenter une école municipale de lutherie. C'était un grand entrepôt en banlieue où, déjà auparavant, une menuiserie avec son équipement fonctionnait. Nous avons créé une entreprise produisant des instruments de musique pour les orchestres des élèves des écoles de la banlieue de Buenos Aires. (...)

Depuis, le pays a beaucoup changé.

L'esprit de la mobilisation sociale que nous avons connu à notre arrivée s'est estompé à cause des déceptions, de la lassitude, de la résignation et de la répression qui, peu à peu, ont coupé les ailes à tout espoir. Le gouvernement Milei (depuis 2023) a expulsé des centaines de milliers de travailleurs sans-papiers et a violemment réprimé toute tentative de résistance. Aujourd'hui, dans la société argentine, vous pouvez percevoir la peur et en même temps un sentiment de colère refoulée qui n'attend que la «tortilla se de vuelta» (= littéralement que «l'omelette soit retournée» soit de renverser la situation).

En Italie, il y avait déjà des condamnations à ton encontre.

La législation spéciale s'en est faite la protagoniste: la recherche à tout prix de la collaboration du repenti, avec la carotte des lois sur l'attribution de primes de réductions de peines ou, lorsque cela ne suffisait pas, avec la torture, suivie de peines de dizaines d'années de prison fondées uniquement sur les déclarations des repentis. Il s'agit d'un processus judiciaire qui trouve ses racines dans les atrocités du fascisme et l'incapacité à purger le système judiciaire après la chute du régime. C'est un lourd héritage qui est devenu une habitude mentale, un état d'esprit enraciné en profondeur. Il n'est donc pas surprenant que la législation spéciale promulguée dans les années 70, bien plus impitoyable que le Code Rocco (1) lui-même, n'ait provoqué aucune contradiction chez ceux qui l'ont appliquée avec tant de diligence.

Venons-en à ces procès.

J'ai deux condamnations: 15 ans pour l'enlèvement de Costa et 19 ans pour participation à une bande armée, puis elles ont été confondues en une seule peine de 27 ans. Les procès ont eu lieu alors que j'avais déjà quitté le pays depuis des années.

Le parquet de Gênes écrit: «il est raisonnable de reconnaître qu'aucun élément à l'heure actuelle ne peut prouver la connaissance de son procès par le condamné ainsi que celle des accusations définitivement formulées à son encontre, puis confirmées en son absence».

Le même juge argentin, qui, en 2003, sous le président Kirchner, avait rejeté la demande d'extradition, a accepté la demande, aujourd'hui sous Milei, faisant valoir qu'il n'y avait aucune raison de douter de la parole du procureur de Gênes qui m'assure que j'aurai droit à un nouveau procès, une fois en Italie.[...]En 2024, les relations changent entre les gouvernements, et Milei et Meloni s'embrassent. Je suis révoqué en tant que réfugié et le bureau du procureur de Gênes représente la même demande d'extradition que 22 ans plus tôt.

Mais avec quelle justification?

Aucune. Il me suffit d'avoir le toupet de dire que je ne savais pas que j'étais en jugement et une fois extradé vers l'Italie, j'aurai droit à un nouveau procès.

Dans l'une des réponses au questionnaire pour obtenir le statut de réfugié politique en Argentine, tu écrivais: «En 1968, est apparu un mouvement social - surprenant par ses dimensions, qui pendant plus de 10 ans a remis en question les relations sociales et politiques du pays et a déterminé le sort de nombreuses personnes, dont moi.»

Le mouvement gagnait de plus en plus d'espace dans la société, générait des espoirs de changement et produisait déjà des changements de mentalités. Pour moi et pour beaucoup de ma génération, c'était une célébration, la fête de l'espoir, dans laquelle les étudiants et les travailleurs de toutes les catégories, les femmes et les hommes, les vieux combattants antifascistes et les nouveaux, se sont retrouvés.

La phase ascendante du mouvement a duré pendant des années, et ensuite?

Ensuite, il y a eu la vie que je mène toujours aujourd'hui, faite de travail précaire, de chômage, de problèmes de santé - selon l'adage «plus t'es riche, plus t'es en bonne santé», une mer Méditerranée qui accueille les cadavres de migrants, ces désespérés qui meurent parce qu'ils cherchent simplement une vie digne d'être vécue, alors qu'en parallèle , on incite au réarmement militaire, on habitue les gens à l'idée de la guerre et on propage le fascisme. Moi, j'ai lutté pour un présent différent. En jugeant le passé, on ne peut faire abstraction du présent où nous ont conduits ceux qui nous ont vaincus. Je ne ferai pas cadeau d'un mea culpa aux va-t-en-guerre, à ceux qui ont provoqué la résurgence du fasciste.

Tu n'es pas le premier cas de personne recherchée pour des faits d'il y a un demi-siècle. Rappelons dernièrement les dix «d'Ombre rosse» (2) en France. Ne penses-tu pas que les faits de cette période historique sont une plaie encore ouverte pour l'Italie?

Nous devons relire les mots des juges français qui ont refusé l'extradition des militants condamnés en Italie et qui se sont réfugiés en France: «Les faits sont très anciens. Sans négliger leur gravité exceptionnelle, dans un contexte de violence extrême et répétée qui ne peut être légitimée par des nécessités politiques, il faut considérer que les troubles à l'ordre public sont achevés.» Cette considération exprime l'esprit de la prescription. Dans la société italienne, le temps de la plaie ouverte est écoulé. J'ai lu des enquêtes sur les «années de plomb» qui révèlent que beaucoup de gens ne savent même pas de quoi il s'agit.

Pourquoi accorde-t-on encore tant d'attention à ces faits?

Je pense qu'une raison devrait être recherchée dans cet héritage dont je parlais. En 2016, un avocat a demandé la prescription de mes condamnations. Le 12 juin 2017, la cour d'appel de Gênes a déclaré l'extinction des peines. Le 23 février 2018, la condamnation est portée devant la Cour de cassation et devient définitive. Entre-temps, la Cour suprême a adopté une nouvelle position stipulant que même l'arrestation à la suite d'une demande d'extradition interrompt le délai de prescription. Le parquet demande que le procès soit rouvert, invoquant un fait nouveau qui n'avait pas été pris en compte: mon arrestation en 2002 à Buenos Aires. (...) Ironie des persécutions: c'est ma demande de prescription de 2016 qui est le prétexte utilisé par Milei pour casser mon statut de réfugié, j'aurais tenté de profiter volontairement de la protection de mon pays d'origine.

Tu es en fuite depuis 1980. As-tu des regrets?

Il y a des choses qui comptent et que je n'ai pas pu faire. Je me souviens d'un article il y a quelques années dans un journal. Il parlait des fugitifs des années 1970 qui s'étaient réfugiés en Amérique latine, faisant une allusion particulière aux Génois. L'article décrivait leur belle vie dans les Antilles, entre hamacs, palmiers et mojitos. Je me demandais comment il était possible que quelqu'un puisse imaginer un exilé de cette façon, comment un journaliste, sans aucune connaissance directe de la personne dont il parle, puisse écrire un tel article. Mais j'ai aussi pensé que, dans son ignorance, il avait vu juste: il est vrai que j'ai bien vécu, mais d'un bien qui n'a rien à voir avec son imagination. J'ai rencontré beaucoup de gens, beaucoup d'entre eux dans des situations existentielles complexes. Leurs histoires et leur mémoire sont le plus beau livre que j'aie jamais lu et ils constituent ma richesse.

Nota Bene: cette interview est une traduction révisée par Boudjemaa Sedira, artiste-peintre à Nîmes, et remaniée par les CJ de Lille et Strasbourg, de l'article L'ex Br Bertulazzi: «Sono in fuga dal 1980, ma non regalo mea culpa» paru le 18 mars 2025 dans le journal italien «Il manifesto».

Notes de la CJ de Strasbourg

1. nom donné au code pénal italien mis en place par Alfredo Rocco garde des sceaux du gouvernement Mussolini. Toujours en vigueur aujourd'hui il a subi de nombreuses modifications parfois plus clémentes (ex: fin de la peine de mort) mais parfois plus répressives (ex: lois anti-terroristes).

2. l'opération «Ombre rosse» (=Ombre rouge) date de 2021, elle consistait en l'arrestation et l'extradition d'anciens militants des Brigades Rouges, de Lotta Continua et d'autres groupes impliqués dans les années de plomb. L'Italie pour qui cette opération était très attendue ciblait 200 personnes bénéficiant de la doctrine Mitterrand de 1985 (doctrine concédant l'asile aux personnes accusées de crimes politiques à condition qu'elles se soient «bien insérées» dans la société française et tant que le pays demandeur pratique des lois d'exceptions). Suite aux négociations avec Dupond-Moretti, alors ministre de la justice, seuls dix noms avaient été retenus par la France. Sept d'entre eux sont arrêtés en avril 2021, les trois autres ayant réussi à prendre la fuite à l'étranger. Remis en liberté jusqu'à leur procès, en 2022 la cours d'appel de Paris a finalement refusé leur extradition.

https://oclibertaire.lautre.net/spip.php?article4472
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