A-Infos (fr) Monde Libertaire - La guerre contre les femmes, les femmes contre la guerre

Entretien avec Hélène Hernandez diffusé le 12 mars 2025 dans l'émission 
Au fil des pages sur Radio libertaire ---- Pour retrouver l'entretien: 
https://radio-libertaire.org/podcast/enregistr/2025-03-12_23.mp3 ---- 
Hélène Hernandez, bonjour, tu es une voix connue sur cette antenne. En 
effet, tu co-animes l'émission Femmes libres juste après la nôtre. 
Militante de la Fédération anarchiste, tu as publié plusieurs articles, 
ouvrages sur les combats des femmes. Je citerai Celles de 14, la 
situation des femmes au temps de la grande boucherie publié aux éditions 
libertaires en 2015. ---- Un nouvel ouvrage La guerre contre les femmes 
les femmes contre la guerre est publié aux éditions du Monde libertaire 
en novembre 2024. ---- Un constat sur la couverture. Une illustration de 
notre ami Tardi. Un paysage déchiqueté par les obus, les combats, un 
char de la guerre de 14, renversé et une femme pieds nus dans la boue 
poussant une brouette dans laquelle sont assis deux enfants. Pourquoi 
cette image, forte par ailleurs. Ton choix?

Oui j'ai demandé à Jacques Tardi un dessin pour la couverture, dans 
lequel il y aurait des femmes et c'est Dominique Grange, sa compagne qui 
a choisi celui-là et d'emblée cela m'a plu. OLT a monté la couv et la 
quatrième en faisant suivre le dessin. C'est très réussi selon moi.

Maintenant, présentons l'ouvrage. Pourquoi ce livre et de quels textes 
est-il composé?

C'est une commande des éditions du Monde libertaire. Philippe a repéré 
qu'au fil des années, j'avais écrit de nombreux articles sur la guerre 
et sur les femmes dans le Monde libertaire, donc il m'a demandé de 
rassembler ces articles et d'en faire un livre. Il y a ainsi 3 parties: 
la 1ère ce sont des textes écrits par des femmes anarchistes, Emma 
Goldman, Hélène Brion, Nelly Trumel et une syndicaliste des IWW, pour 
ouvrir sur l'idée que l'antimilitarisme est ancré dans l'histoire face à 
la violence; La 2e partie montre les multiples facettes de la guerre à 
l'encontre des femmes: violence militaire, patriarcale, religieuse et 
capitaliste. Donc des textes sur la guerre avec armes, en temps de 
guerre, mais aussi sur la guerre quotidienne, celle qui opprime, 
exploite, discrimine, en tant de paix. La 3e partie, partout, des femmes 
luttent contre la guerre, tel que le dit Stéphanie Bouvard en novembre 
1915 «Qu'on fasse cesser cette danse des morts!» Ces résistances sont 
importantes à évoquer, que ce soit au Chiapas, au Rojava, ou les 
manifestantes en Inde ou en Amérique latine contre l'extractivisme 
forcené au mépris des populations locales, ou contre l'énergie nucléaire.

Donc, ce n'est pas un livre portant sur la guerre de 14 mais sur de 
nombreux conflits et des conflits actuels. Certains sont connus, je 
pense à l'Ukraine, mais d'autres oubliés par les médias. Pourquoi n'en 
parle-t-on pas?

En 2023, il y avait 59 conflits dans le monde, en Afrique, en Asie, au 
Moyen-Orient, et même en Europe et aux Amériques. Les médias choisissent 
les zones de conflits qui ont un intérêt géopolitique. Quant à ce que 
les femmes subissent, c'est sur que peu de médias en parlent.

Toi tu en fais un long cortège. Tout le monde souffre dans un conflit 
mais les femmes subissent des sévices bien spécifiques. Comme une double 
atteinte à leur corps, les tortures, les blessures, la mort mais aussi 
le viol. Tu parles d'arme destructrice.

Le corps des femmes est utilisé dans le cas de la purification ethnique 
déployée dans la guerre en ex-Yougoslavie au début des années 90. Le 
viol est une réalité dans tous les conflits. Pour humilier un peuple, on 
viole les femmes, souvent devant leurs propres enfants. Le viol est 
utilisé comme arme de guerre. En 2019, sous la pression des Etats-Unis, 
de la Russie et de la Chine, le Conseil de sécurité de l'ONU a du 
reculer quant à la création d'un organisme international chargé de juger 
les coupables, et de développer la protection des survivantes, des 
femmes violées et des femmes enceintes. Ce qui sous-entend que ces 
sévices sexo-spécifiques ne seraient pas des armes de guerre!

Dans d'autres cas, elles sont chosifiées, vendues comme esclaves, mais 
l'esclavage existe dans trois pays mais pas en France?

L'esclavage existe dans de nombreux pays, y compris en France, cela 
concerne de jeunes filles et femmes issues d'un pays pauvre. Je cite le 
film Le silence de Sibel d'Ali Yeganeh, cette gamine yézidie, enlevée 
par Daesh, devant sa famille massacrée en Irak. Comme d'autres filles et 
femmes, elle est réduite à l'esclavage. Quand elles sont détruites sur 
le plan physique et psychologique, on les vend, pour financer la guerre 
de ces terroristes. Quant à l'esclavage économique, cela sert le 
capitalisme, avec des salaires à très bas cout.

Tu évoques et développes la notion de guerre des classes et des sexes 
par le capitalisme et la notion de patriarcat. Peux-tu expliquer?

Il y a un continuum violences économiques, volet du capitalisme, et 
violences sociales, volet du patriarcat. Les violences sexuelles liées 
aux conflits sont dues à la militarisation, la prolifération des armes, 
l'impunité, l'effondrement des institutions, mais aussi aux inégalités 
fondées sur le genre, les normes sociales discriminantes et néfastes.

Le livre est composé d'articles avec des introductions rédigées par tes 
soins.

On pourrait évoquer des femmes symboles du combat des femmes, je pense à 
Emma Goldman mais aussi moins connue Hélène Brion. Toutes deux ont 
adopté un discours farouchement antimilitariste. Tu pourrais nous 
présenter l'action d'Hélène Brion?

Hélène Brion (1882-1962) est une institutrice, syndicaliste au sein de 
la Fédération des instituteurs et institutrices. Elle devient pacifiste 
au vu de la misère de la population de Pantin, où elle aide à la soupe 
populaire. Son procès en Conseil de guerre en 1918, pour défaitisme, en 
fera un symbole de la résistance féministe à la guerre. Et je cite son 
Adresse féministe au Comité pour la reprise des relations 
internationales en 1916. Lors de son procès en 1918, elle clame: «Je 
suis ennemie de la guerre parce que féministe, la guerre est le triomphe 
de la force brutale, le féminisme ne peut triompher que par la force 
morale et la valeur intellectuelle.»

Pour bien montrer l'actualité du combat des femmes et sa permanence, 
parlons de Nelly Trumel. Qui était-elle?

Nelly Trumel (1938-2018) a créé l'émission Femmes libres sur Radio 
libertaire en référence aux Mujeres libres, cette organisation de 20 000 
femmes en Espagne. Nelly a développé un féminisme et un antimilitarisme 
qui a imprégné Radio libertaire, le Monde libertaire et la Fédération 
anarchiste. Peintre, elle a osé choisir les pommes de terre, la 
nourriture des pauvres pour en faire des sujets de peinture magnifiques, 
parfois déroutants, les subvertissant à la façon des surréalistes mais 
en hyperréalisme. Elle a ainsi peint des objets du quotidien qu'elle a 
magnifié: fruits, légumes, coupelles et verres, bouteilles. Elle les a 
mis en scène bien différemment des traditionnelles natures mortes, car 
le pépin de la poire semble être un oeil qui nous regarde ou la figue 
est telle qu'on a envie de la manger.

Elle a des textes très argumentés, je pense à ces propos: «En temps de 
guerre, la civilisation bascule et les pulsions, soudains libérées, sont 
primitives, la pulsion sexuelle st la plus difficile à maîtriser.» C'est 
écrit en 1993 dans le Monde libertaire. C'est toujours actuel. Elle 
décrit plus loin l'interdiction de maîtriser son corps.

C'est parce que ce qu'a écrit Nelly est actuel que j'ai repris ses 
textes de 1993. Oui dans le cas des Ouïghoures ou des femmes non serbes 
en ex-Yougoslavie, «l'identité ethnique qui veut s'imposer se doit de 
diffuser son sperme et de faire couler le sang» et les hommes serbes de 
dire «j'appelle toutes les femmes serbes à donner naissance à un autre 
fils afin de s'acquitter de leur dette envers la nation». Le corps des 
femmes est ainsi un enjeu politique et guerrier.

Toi-même tu as une analyse forte sur le discours guerrier d'Emmanuel 
Macron. La France est guerrière?

Je ne peux pas parler des guerres au niveau mondial sans évoquer la 
politique militaire de la France. Macron parle de guerre lors de la 
période Covid, il parle de réarmement démographique pour exhorter les 
femmes à faire plus d'enfants, pour payer les retraites? Non, pour avoir 
un pays plus fort et peser sur le monde. La France est devenue le 2e 
pays exportateur d'armes et d'ingénierie militaire, le budget de l'armée 
croit alors que les services publics sont sacrifiés (santé, éducation, 
transport, etc.). En 2017 c'était la marche funeste, seul, dans la cour 
Napoléon, une marche symbolique. Oui Macron a une posture de guerrier.

Comment aider ces femmes? Au Soudan, au Burkina Faso, en Afghanistan. 
J'ai trouvé l'expression dans un article, «les femmes et les filles au 
coeur de tous les dangers»

D'une part, il y a des ONG qui apportent une aide médicale et aussi 
éducative, la scolarité des filles par exemple, et quand elles peuvent 
le faire. Par exemple Radio Begum a permis pendant des années à des 
filles de suivre des cours notamment d'anglais, elle vient d'être 
interdite par le gouvernement afghan. Et on peut soutenir ces ONG comme 
Negar, ou Femaid. D'autre part, le fait d'en parler, de manifester notre 
solidarité, de répondre en urgence aux appels contre les condamnations à 
mort ou les incarcérations, ou les procès comme celui de Pinar Selek 
(depuis 27 ans, harcelée par le gouvernement turc) etc. cela leur permet 
de tenir. Les réseaux sociaux informent de part et d'autre. Nous devons 
toujours tenir le drapeau de la liberté, féministe et antimilitariste.

Le livre évoque aussi les pathologies causées par les guerres. Les 
blessures mais pas que cela. Des maladies, y compris des troubles 
psychiques. Plus particulièrement pour les femmes?

Les filles et les femmes sont confrontées à un risque plus élevé de 
violences lors des conflits, violences sexuelles, difficulté à accéder 
aux soins d'urgence obstétriques, à des services de planning familial, à 
un soutien psychologique sur les aspects sexospécifiques. Les guerres 
augmentent considérablement la prévalence des problèmes de santé 
mentale: 22 % en souffrent, les femmes plus que les vétérans, par 
exemple, sauf le trouble de stress post-traumatique.

Je voudrais aussi une explication sur la distinction entre le fémicide 
et le féminicide.

Les deux mots peuvent être utilisés. Le féminicide (ou fémicide, 
uxoricide, conjuguicide, sexocide, gynécide, gynocide ou gendercide) 
désigne le meurtre d'une ou plusieurs femmes ou filles pour la raison 
qu'elles sont des femmes. Le terme fémicide revient à la chercheuse 
féministe états-unienne Diana E. H. Russel à la fin des années 1970 
selon Christelle Taraud dans le livre Féminicides, une histoire mondiale 
(La Découverte, 2022). Les définitions peuvent varier selon le contexte 
culturel. C'est le terme féminicide qui est maintenant le plus utilisé.

Un mot évidemment sur la situation en Iran. Femme, vie et liberté, que 
reste-t-il aujourd'hui?

Les femmes iraniennes, après ce soulèvement populaire à la mort de Jina 
Mahsa Amini en septembre 2022, ne sont pas vaincues malgré la répression 
terrible. Chouwra Makaremi dit «En 2022, bruler le voile c'est une 
grammaire révolutionnaire, avec créativité et humour! La joie est une 
pratique de résistance qui permet de combattre la peur. C'est par la 
non-peur qu'on va être sur les barricades et faire peuple!»

Une pensée pour Berta Caceres, Margarida Alves. Qui étaient-elles?

Le 3 mars 2016, Berta Caceres a été assassinée dans sa maison. Elle a 
passé sa vie à faire valoir les droits des communautés du Honduras à 
accéder à leurs terres. Elle luttait contre les propriétaires fonciers 
et les compagnies qui leur pillaient leurs terres. Sa fille a reris le 
flambeau contre l'extractivisme capitaliste des ressources naturelles.

Margarida Alves est une figure majeure du syndicalisme paysan brésilien. 
Elle a été assassinée le 12 aout 1983, en pleine dictature militaire. En 
souvenir, la 7e Marche des Margaridas a eu lieu les 15 et 16 aout à 
Brasilia avec 100 000 travailleuses rurales, en marche pour la 
reconstruction du pays et le bien-vivre: «Mieux vivre en luttant que 
mourir de faim».

A mon sens, le livre regroupe des analyses, des références, des 
témoignages, une bibliographie, une filmographie , il permet d'alimenter 
une réflexion. Des militantes et des militants peuvent s'en nourrir pour 
animer un débat mais tu peux te déplacer. En février dernier, tu étais à 
Toulouse. Comment te contacter?

Le mieux c'est de m'écrire à femmes.libres@outlook.fr

Une présentation du livre est-elle prévue prochainement?

Je serai dans le Val d'Oise le 27 mars à 18 h 30 à l'initiative de la 
Libre Pensée 95, ce sera au Café des quais 8 rue Hôtel Dieu à Pontoise. 
Et je serai le 17 mai à 17 h au CIRA limousin, EAGR 64, avenue de la 
Révolution à Limoges.

Merci Hélène.
Je rappelle le titre de l'ouvrage La guerre contre les femmes, les 
femmes contre la guerre publié aux éditions du Monde libertaire en 
novembre 2024.
(Propos recueillis par Francis PIAN)

https://monde-libertaire.fr/?articlen=8278
_________________________________________________
A - I n f o s
informations par, pour, et au sujet des anarchistes
Send news reports to A-infos-fr mailing list
A-infos-fr@ainfos.ca
Subscribe/Unsubscribe https://ainfos.ca/mailman/listinfo/a-infos-fr
Archive: http://ainfos.ca/fr