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(fr) Alternative Libertaire #353 (UCL) - Coulisses de Wikipédia: un enfer pour les minorités

Date Wed, 16 Oct 2024 20:44:16 -0400


Wikipédia est un pilier incontournable de l'accès au savoir. Sa «neutralité», ses règles, ses rapports de force rejaillissent sur les 30 millions de personnes qui la consultent par mois en France - et bien au-delà dans la francophonie. Alternative libertaire a interrogé des personnes familières de ses coulisses pour parler des oppressions qui s'y jouent. ---- Créer une encyclopédie est un acte politique. La rendre collaborative l'est encore plus: à sa création en 2001, Wikipédia était perçue comme radicale. L'idée peut pourtant plaire à un large spectre politique. Sophie*, contributrice de longue date à sa version francophone, décrit une population initiale plutôt de gauche - attirée par le partage de la connaissance - côtoyant une population, légèrement moindre, plutôt de droite - attirée par la préservation du patrimoine. Morgann, présent·e dès la première heure, y voyait surtout de «gentils libristes». Le fondateur, Jimmy Wales, est lui fermement ultra-libéral. Et il est difficile de ne pas voir sa patte dans le fonctionnement de Wikipédia, qui repose sur quelques principes fondateurs déclinés en un ensemble complexe de règles et de conventions.

L'un de ces principes fondateurs est une certaine notion du «savoir-vivre». Il faut être courtois·es et rechercher le consensus. Cette image d'une société policée, qui réglerait ses désaccords par la discussion et la bonne foi, se heurte à la réalité des conflits politiques. Il suffit de se rendre sur la discussion d'un article controversé pour observer des pages interminables de propos arrogants et passif-agressifs, sous un vernis de bienséance. Le principe du consensus signifie souvent une guerre d'usure: celui qui pourra y consacrer le plus de temps, et qui sera le moins atteint par la violence de la discussion, aura l'avantage. Sont favorisés aussi les fins connaisseurs des règles de Wikipédia, assez nombreuses et larges pour qu'il soit toujours possible d'en brandir une contre son adversaire.

Ces conflits, le coeur de la communauté wikipédienne refuse de les penser politiquement. Sophie décrit une population dépolitisée, qui se voit en citadelle assiégée. Wikipédia doit en effet faire face, avec des moyens humains en déclin, à des dégradations et des promotions constantes d'entreprises ou de candidats politiques. Mais elle le fait en méconnaissance d'un antifascisme élémentaire. Un «facho notoire» ne sera bloqué que s'il enfreint franchement les règles, comme ce fut le cas en 2022 avec l'affaire «WikiZédia», et le même traitement est réservé en théorie à tout·e militant·e. En pratique, l'extrême-droite peut rester subtile aux yeux de non-initié·es, tandis que les minorités sont accusées de «désorganiser l'encyclopédie» dès qu'elles pointent les logiques d'oppression. Toute mention de transphobie ou de racisme dans les propos ou les conséquences d'une décision sera prise comme une attaque personnelle, contraire aux règles de «savoir-vivre» - une interprétation que certains essayent même de rendre explicite dans le règlement.

Quand douze trans «attaquent» Wikipédia

Conséquence de ces dynamiques, de la droitisation de la société, et du départ de contributeurs historiques de gauche, le rapport de force au sein du noyau dur est aujourd'hui en faveur des «centristes apolitiques» et des conservateurs. En témoignent les événements de ce début d'année, autour de la mention dans les articles du deadname, l'ancien prénom d'une personne trans. Après des années de débats violents - avec par exemple des comparaisons aux criminels souhaitant effacer leur passé -, un vote a été poussé pour trancher la question une fois pour toute. Au vu de l'impact d'une telle décision, il a été relayé dans les communautés trans sur les réseaux sociaux, ce qui a en soi été vu comme une attaque. Plusieurs contributeur·ices, même expérimenté·es, ont été bloqué·es du site pour ce «rameutage» et pour le «harcèlement» que constituait la dénonciation de la situation. S'en est suivi un vote pour limiter qui peut participer aux votes, un vote en préparation pour savoir si l'on peut dégenrer ou mégenrer les personnes trans, des attaques contre les biographies de personnes ayant discuté publiquement du sujet, etc.

Clémence*, qui a vécu les événements - au prix d'un mois d'arrêt de travail -, considère qu'un petit groupe fait sa loi sur Wikipédia. Surveillance des bios de personnes trans, appels de renforts dans les discussions, «requêtes aux admins» contre leurs opposant·es, inversion victimes/agresseurs... En se prétendant être un rempart face aux militant·es venu·es «désorganiser l'encyclopédie», ils sont surs d'être protégés par les «centristes» dépolitisés. Il est frappant qu'un site sur lequel s'appuient des dizaines de millions de personnes, et construit par des milliers d'entre elles, soit régit par l'entre-soi de quelques dizaines de gardiens de la citadelle, qui refusent l'avis de celles et ceux qui n'ont pas passé des heures à apprendre les arcanes de l'interface et des règles du site.

Une neutralité de surface

Ils se dédouanent aussi de toute influence sur la société: la neutralité est un autre principe fondateur de Wikipédia. En pratique donc, tous les points de vue doivent être présentés, et les affirmations doivent être appuyées par des sources secondaires - des analyses et reprises, souvent journalistiques, d'informations brutes. Pour la communauté, si les sources «fiables» sont de plus en plus de droite, cela refléterait la société et il serait donc naturel que Wikipédia glisse à droite. Or, c'est passer à côté des choix éditoriaux, éminemment politiques, qu'il y a derrière toute présentation d'informations. Le choix des sources, la structure des articles, l'importance donnée à chaque fait ou opinion, les tournures employées, rien de cela ne peut être neutre. Ils vont forcément refléter le point de vue des auteurs, majoritairement masculins (à 80% sur Wikipedia FR!), blancs et aisés. Pour bon nombre d'entre eux, ce manque de diversité n'est même pas un problème, chaque être humain étant supposé «égal». La vie de chacun·e, les oppressions, les moyens en temps et en connaissances techniques pour contribuer, tout ça ne se voit pas derrière les écrans.

Et le fait est que Wikipédia peut causer du tort, même si les faits présentés l'ont déjà été dans les sources. Une information ajoutée à Wikipédia prend une visibilité qu'elle n'avait pas forcément dans son article d'origine, et est vouée à rester. En particulier dans une biographie, cela peut mener à de sérieuses conséquences. Exit le droit à l'oubli: les deadnames, les polémiques d'extrême droite, les prénoms des enfants, tout cela sera à jamais accessible en quelques clics. Pourtant, une règle de l'encyclopédie est de ne pas nuire aux personnes. Mais certains, déconnectés de la réalité, trouvent plus importante la «pertinence encyclopédique» de la moindre bribe d'information.

Face à l'impossible neutralité des choix éditoriaux, Sophie et Morgann s'accordent sur l'importance de situer les savoirs et de former la communauté à l'épistémologie, au-delà d'un principe de citation compris seulement en surface. Vis-à-vis des sources, si presque toutes les personnes interrogées rejoignent le principe actuel, la notion de fiabilité serait à revoir. Certains savoirs, comme ceux sur la transidentité, sont issus des expériences et de leur mise en commun, et sont ignorés des «grands journaux». Ivonne, militante antiraciste, pointe que les sources africaines sont peu prises au sérieux, et que le modèle français ne s'applique pas à des populations qui s'informent bien plus sur des blogs, des chaînes Youtube ou des comptes de réseaux sociaux, souvent plus fiables et faiseurs d'opinion que les journaux traditionnels, surtout dans les régimes dictatoriaux.

Refaire du réel et du collectif

En 2018, Ivonne a fondé Noircir Wikipédia, un projet visant à combler le manque d'articles et de références sur des sujets et des personnes noires et afro-descendantes, et à faire disparaître les biais et euphémismes racistes de l'encyclopédie. Wikipédia «fr» est en effet censée couvrir toute la francophonie, majoritairement africaine. Mais là encore, les différences structurelles pour contribuer sont grandes. Tout comme «les sans pagEs», un autre projet dédié aux biographies de femmes, Noircir Wikipédia organise ainsi régulièrement des ateliers pour contribuer à l'encyclopédie et rattraper, article par article, ses manquements. Ivonne voit ces initiatives comme une manière plus concrète de faire bouger les choses qu'en s'impliquant dans la communauté en ligne, qu'elle évite autant qu'elle peut. Ces espaces transforment l'action individuelle et virtuelle en dynamique collective, porteuse d'entraide et de solidarité. Ils font aussi le lien avec un militantisme tourné vers la société, et de l'éducation aux médias - Wikipédia incluse.

Ces projets sont salvateurs mais font face à une forte résistance. Les sans pagEs sont la cible d'attaques depuis des années, si bien qu'une lettre ouverte a du être publiée pour les soutenir. Quant à la Fondation Wikimédia, propriétaire de Wikipédia, elle est frileuse à agir. Ainsi la citadelle se défend contre celles et ceux qui luttent pour simplement exister en son sein...

Chloé (UCL Grenoble)

* Les prénoms ont été modifiés.

https://www.unioncommunistelibertaire.org/?Coulisses-de-Wikipedia-un-enfer-pour-les-minorites
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