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(fr) Liberté ouvrière - Pinard (Québec, 2018) Les syndicats: entre solidarité et concurrence | Rolande Pinard (Québec, 2015)
Date
Sat, 5 Oct 2024 20:19:33 +0100
On attend des syndicats qu'ils luttent contre l'exploitation des
travailleurs et des travailleuses, et pour la justice sociale. Par
ailleurs, nos lois du travail ont fait du syndicat un agent négociateur
qui doit défendre et représenter ses membres, mais aussi les
non-membres, devant un employeur particulier. C'est une fonction axée
sur la collaboration, malgré sa dimension conflictuelle. Le syndicalisme
présente ainsi un versant de collaboration avec les employeurs, et un
versant de lutte. Travail et capital, travailleurs/travailleuses et
capitalistes sont à la fois complémentaires et antagoniques:
complémentaires dans la production et antagoniques dans la société.
L'histoire du syndicalisme est marquée par cette contradiction: des
périodes de collaboration avec les employeurs succédant à des périodes
de luttes sociales et syndicales intenses. Ces dernières se sont faites
très rares au cours des derniers trente ans, marqués par un
affaiblissement important du syndicalisme dans tous les pays
capitalistes industrialisés. Ce phénomène coïncide avec la crise du
capitalisme associée à sa globalisation.
Cette crise remet le syndicalisme en question, et ce n'est pas la
première fois. Au XIXe siècle, le syndicalisme de métier a été dominant,
car la collaboration travail-capital dans la production conférait un
pouvoir aux ouvriers syndiqués, qu'ils pouvaient mettre à profit dans
leurs luttes sociales-politiques dans la société. Des ouvrières et des
ouvriers considérés sans métier dans quelques industries - celles du
vêtement, des textiles, des mines par exemple - se regroupaient dans des
syndicats dits industriels, et se donnaient une force collective par des
solidarités territoriales, plutôt que par la complémentarité dans la
production avec l'employeur.
Au tournant du XXe siècle, le capitalisme des grandes corporations et la
production de masse ont détruit la plupart des métiers de la production.
La syndicalisation par entreprise a, par la suite, été substituée au
syndicalisme de métier et aux syndicats industriels existants. L'emploi
- le lien avec un employeur - a remplacé le métier du travailleur comme
fondement du syndicalisme. La défense de l'emploi, et donc de
l'employeur, est alors devenue centrale. L'action syndicale pour
améliorer les conditions de travail et d'emploi sera désormais enfermée
dans le milieu de travail. Les luttes plus larges, dans la communauté et
la société, sont interdites lorsqu'il s'agit de combattre l'exploitation
des travailleurs et des travailleuses. Avec la syndicalisation par
entreprise, les rapports entre travailleurs/travailleuses et
capitalistes sont considérés comme une affaire privée entre un employeur
et ses employés. Les syndicats se sont donc regroupés sur une base
territoriale pour mener des luttes à caractère social, solidairement
avec d'autres groupes.
Avec la globalisation capitaliste, le syndicalisme fondé sur l'emploi,
sur un lien stable avec un employeur, perd de sa pertinence à mesure que
les entreprises favorisent la flexibilité de l'emploi, c'est-à-dire sa
précarisation, pour assurer leur propre sécurité. La syndicalisation par
entreprise devient de plus en plus désuète à mesure que les entreprises
se délocalisent, se rationalisent, s'organisent en réseaux. Cette forme
de syndicalisation, adaptée aux grandes corporations, a toujours mal
servi les salariés des PME manufacturières et des entreprises de
services privés et de proximité.
Au cours des dernières décennies, aux États-Unis, des personnes
salariées du bas de l'échelle, dans ce type de services - surtout des
femmes, des immigrants et des immigrantes, des sans-papiers - se sont
mobilisés pour exercer leur droit d'association, pour obtenir des
salaires décents, pour se faire reconnaître la pleine citoyenneté,
mêlant donc luttes politiques et luttes économiques, sur une base
territoriale (une ville, le plus souvent). C'est le cas, par exemple du
personnel préposé à l'entretien ménager d'édifices publics et
commerciaux, des aides à domicile et, plus récemment, des employées et
des employés de la restauration rapide dans plusieurs villes
étatsuniennes. Ces luttes ne sont pas axées sur les rapports
employeur-employés, mais sur des solidarités élargies dans la
communauté, réunissant des travailleurs et des travailleuses de
différents employeurs, et d'autres groupes sociaux. Elles ont permis la
syndicalisation de groupes considérés comme des causes perdues, ou sans
intérêt. Elles sont en train de faire accepter l'idée d'un salaire
minimum de 15 $ l'heure à travers les États-Unis et jusqu'au Canada. Ces
luttes renouent avec le type d'action collective des premiers syndicats
industriels.
L'exercice de la liberté à travers des solidarités élargies dans la
société se fait dans des espaces à dimension humaine - une ville, une
région, une communauté, une profession... La globalisation capitaliste,
à travers les ententes économiques intercontinentales négociées par nos
gouvernements, menace ce type d'action collective en mettant les régions
en concurrence les unes avec les autres, en dressant les populations les
unes contre les autres. Les regroupements syndicaux régionaux sont donc
directement interpellés: solidarité ou concurrence, selon qu'ils
s'allient à d'autres groupes pour la défense des droits sociaux,
économiques et politiques des citoyens et des citoyennes, ou aux
promoteurs de l'activité économique dans la seule logique de l'emploi.
https://liberteouvriere.com/2024/10/02/les-syndicats-entre-solidarite-et-concurrence-rolande-pinard-quebec-2015/
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